Période 2 : Intersections

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Le père

On ne peut pas vraiment dire que je m'en sois bien tiré. Et comme toujours avec moi, quand je suis pris en faute, j'esquive ou au mieux, je fuis. Comme maintenant, en voiture. Encore une victoire de la femme sur l'homme, mais franchement, je suis indéfendable. Je l'ai bien cherché. Ce n'est que maintenant que je me rends compte que j'ai peut-être fait une connerie en ayant une maîtresse.

Sur le coup, cela avait l'air attirant. Du sexe passionné avec une autre femme que la mienne, mais sans autant de responsabilités envers elle. Et ce petit goût d'interdit qui me fait revenir à chaque fois, même si je n'en ai pas envie. L'excitation que je ressens en prévision d'une de nos escapades valait bien toutes les disputes du monde.

Mais ce n'est pas comme cela marche, n'est-ce pas ? On ne peut pas, dans notre société, aller voir ailleurs si le cœur, ou autre chose, nous en dit. Le mariage est la plus belle prison dorée qui existe, mais une prison dont je voulais sortir il n'y a pas si longtemps, ne serait-ce que pour quelques minutes. Cela va peut-être vous sembler bizarre, mais maintenant que Judith est au courant, ma maîtresse ne me semble plus aussi attirante. Et évidemment, je ne m'en suis pas rendu compte avant. Non, ce serait trop facile, bien sûr. L'esprit humain est quand même une chose étrange. Il nous pousse à nous rassembler pour mieux nous séparer. Vous me direz qu'il ne s'agit peut-être que de moi et pas de l'espèce humaine en général, mais je ne pense pas.

Y'a qu'à voir le nombre de divorces en hausse constante depuis des dizaines d'années. Cela prouve bien qu'il y a un problème quelque part, non ? Ou bien nous choisissons mal les personnes avec qui partager nos vies, ou bien nous aimons briser ce que nous avons construit, ne serait-ce que pour mettre un peu de piment dans des relations déjà complexes.

L'ennui est mon plus grand ennemi et je l'avoue, c'est plus par ennui que par réelle envie que j'ai trompé Judith. Ca me semble con maintenant d'avoir balancé la vie tranquille que j'avais pour quelques moments d'aventures exaltantes. Cet écart de conduite risque de me suivre à vie maintenant, surtout si Judith demande le divorce. Nous n'en sommes pas encore là, heureusement, et il me reste peut-être une chance d'arranger les choses au mieux. Ce ne sera pas parfait, non, mais au moins, j'aurais tenté. Arrêtez de me juger comme cela, je sais que c'est trop tard, mais ne dit-on pas qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire ?

Donc, premier objectif, aller chez Marianne pour rompre. Puis essayer de me rabibocher avec Judith. Cela semble simple et le premier objectif sera sûrement plus facile à atteindre que le second. Dois-je lui acheter une babiole pour l'aider à me pardonner ? Non, ma rédemption ne passera pas par mon porte-monnaie. Pas cette fois. Je crois que ma meilleure chance est encore un dialogue franc et honnête avec elle. Mais en serai-je seulement capable ? Depuis des années, nos conversations se limitent à des questions-réponses préparées tacitement à l'avance et dont nous connaissons les réponses par coeur.

Question : Ca a été ta journée ? Réponse : Oui. Et toi ? Question : Tu as fait quoi ? Réponse : Rien d'intéressant. Et toi ? Question : Tu veux bien signer ça ? Réponse : Oui, bien sûr. Question : On mange quoi ce soir ? Réponse anticipée : Vendredi donc poisson. Question : J'ai du courrier ? Réponse pensée : Regarde sur la table et tu verras bien. Et ainsi de suite.

Je me rends compte que je n'ai pas la vie dont je rêvais étant adolescent mais qui l'obtient de toutes façons ? La première chose que l'on apprend en étant adulte est que la vie est une affaire de compromis. Tous nos rêves d'adolescent ne seront probablement jamais atteints alors on fait de notre mieux. On ne trouve pas la personne de nos rêves, on choisit celle qui s'en approche le plus. On n'arrive pas à décrocher le boulot de nos rêves, on en prend un qui s'en approche le plus et qui nous empêche de trop penser. Dans mon cas, c'est pareil mais avec un bémol : j'aurais pu tomber pire que cela.

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