3 - 🥀MAYA🥀

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Je l'ai vu, juste derrière moi. Et je ne sais pas comment faire pour le semer.

J'ai déjà bien assez regretté mon escapade nocturne ce matin, alors traîner avec lui n'arrangera rien. J'en suis sûre et certaine. Et pourtant, je repense à cette étrange soirée et aucun regret ne m'étreint, si ce n'est celui d'en avoir payé le prix à mon retour. Je ne pense pas que ça en vaille la peine, c'est pourquoi il ne faut plus que je me laisse aller.

Je passe par une rue étroite et presse le pas, pensant le faire perdre ma trace au bout de quelques mètres. Je tourne à nouveau, mes pieds me guident vers le seul endroit qui pourra me calmer. Je sens déjà d'où je suis les effluves salées transportées par l'air, et aussitôt le chagrin est emporté pour ne laisser que la résignation et l'espoir. Bientôt les choses iront mieux, je dois juste supporter cette situation encore un peu. Après tout, je ne peux pas me plaindre de mon quotidien, il y a de pires atrocités dans le monde que je suis loin d'envier. S'il y a pire, je peux me contenter de ce que j'ai maintenant.

Je continue d'avancer quand soudain je suis projetée contre le mur, les bras relevés au-dessus de ma tête par une poigne ferme.

Non, mais je rêve. Il a finalement réussi à me rattraper...

- Tu pensais pouvoir me semer ? dit Ilan avec amusement. On ne se connaît pas et tu t'es tapé l'incruste chez moi cette nuit, et maintenant tu recommences à m'éviter ?

La chaleur me monte au visage et ma respiration se bloque douloureusement.

- Je voulais pas, je suis désolée, je réponds, en articulant du mieux que je le peux.

- Je te taquine, Maya.

Mais sa main au-dessus de moi emprisonne mes bras, m'empêche de me mouvoir, me retient de faire le moindre geste, et...

Je me débats avec rage, mes bras battent l'air jusqu'à frapper son torse, je vacille et je tombe à genoux, j'ai besoin d'air, j'ai besoin de ma liberté, j'ai besoin...

Ilan me soulève et place doucement ma tête contre sa poitrine. Mon cœur palpite et menace d'exploser, mes mains tremblent d'angoisse.

- Pardonne-moi, je ne voulais pas te faire peur, il murmure, la voix blanche.

Il caresse mes cheveux et j'essaie de me calmer, les yeux écarquillés et la vue trouble. Des tâches noires se forment devant moi, j'ai du mal à y voir clair. C'est la première fois que je fais une crise à l'extérieur, ou même devant quelqu'un d'autre que lui.

*****

Dix minutes plus tard, je me lève du banc sur lequel j'étais assise, les jambes toujours flageolantes.

Inspire. Une longue bouffée d'air pénètre mes poumons, m'aide à stabiliser mon rythme cardiaque.

Expire. L'air que je relâche emporte les dernières bribes de peur qui me paralysaient.

Avance. Et là, je le plante sur le banc, d'où je sens son regard me scruter. Franchement, il doit me prendre pour une folle. Je l'ai évité pendant de longs mois au lycée, et en moins de 24 heures, je parviens à dormir avec lui, pleurer à plusieurs reprises, m'effondrer encore et encore, même à cause d'un geste non violent... Il en a vu plus de moi en un jour qu'en une année.

Pfff. Il me suit, et d'un coup la colère s'empare de moi. Je suis en colère contre lui pour ce qu'il m'a fait devenir. Une pauvre chose incapable de contact humain, craignant chaque geste et s'effondrant à la moindre menace apparente.

Cette fois-ci, je le laisse avancer à mes côtés.

- Ça t'arrive régulièrement... ce genre de crise ? Tu as fait une crise de panique, n'est-ce pas ?

Je tourne la tête dans sa direction, et ses yeux doux se rivent vers le sol lorsqu'il aperçoit la colère dans mon regard.

- Pourquoi t'es pas parti en cours ? je demande, pour chasser ma gêne.

- Je me fais du soucis pour toi.

Je lève les yeux au ciel. On marche toujours, et plusieurs mètres plus loin j'aperçois la côte. L'air marin est de plus en plus chargé d'oxygène, et je respire à pleins poumons. Je me sens déjà mieux. Je continue de garder le silence, mais je ne peux m'empêcher de le voir remuer la main dans sa poche de temps à autre. Il a un toc ou quoi ?

Mais je culpabilise au moment où mon cerveau formule cette pensée. Ce n'est certainement pas Ilan qui a un problème, c'est plutôt moi. Et depuis hier soir, c'est moi qui dérange le calme de sa vie de lycéen de 17 ans.

- Tu vis seul ? je demande, espérant me faire pardonner pour mes sautes d'humeur incontrôlables.

- Oui, répond-il vaguement.

- Tes parents habitent dans une autre ville ?

Il a l'air surpris de me voir poser autant de questions, ou alors j'interprète mal son regard désemparé.

- Tu n'as jamais entendu le bruit qui court sur moi ?

Là, c'est à mon tour d'être prise au dépourvu. Il passe la main dans ses cheveux bruns, et change de sujet, de quoi ajouter à mon désarroi.

- Pourquoi tu voulais aller au bord de la mer ?

Je me concentre à nouveau sur la vision magique du paysage qui me fait face. La mer est calme, d'un bleu profond. Les vagues se brisent sur le sable doré en un tourbillon d'écume d'un blanc mousseux, et je souris.

- La mer me calme, dis-je. J'y viens quand je sais qu'il n'y a pas grand monde, et j'aime marcher le long de la plage.

Arrivés au bord de l'eau, je m'assieds là où le sable est encore sec, et je regarde Ilan continuer d'avancer devant moi. Sa silhouette est illuminée par le soleil qui continue peu à peu sa course effrénée à l'horizon, et le vent soulève les mèches épaisses de ses cheveux. Il tourne la tête vers la droite pour observer un couple de personnes âgées promenant leur chien, de quoi m'offrir un angle particulièrement intéressant de son visage.

Son nez est cassé, ses pommettes sont hautes et ses yeux sont bordés de cils fins d'un noir intense. Son teint mat fait ressortir ses lèvres charnues à la couleur framboise, et...

Il surprend mon regard. S'assied à côté de moi, et continue de me fixer. J'ose lui lancer un coup d'œil et intercepte son air moqueur et joueur, et je me sens tout à coup mieux. Fini de me comporter comme une victime. J'érige mes défenses, lui offre un sourire franc qui le fait hausser les sourcils et m'allonge complètement. J'écoute le cri des goélands qui volent dans le ciel, et le clapotis apaisant de la mer. Je ne pourrais jamais me lasser de cette ville portuaire dans laquelle je suis née, des bruits qui rythment notre quotidien et du ravissement qui m'atteint à chaque fois que je viens sur cette plage. C'est un sentiment exceptionnel, et c'est pour ça que j'aime autant venir ici.

Alors, Ilan et moi commençons à discuter de tout et de rien, et je parviens à manier la conversation de sorte à ce qu'on n'évoque pas ma famille, et je fais comme si je n'avais pas compris qu'il faisait de même.

C'est la première fois que je parle autant à une personne, que j'arrive à rire aux éclats sans penser aux conséquences de chacun de mes actes, aussi insignifiants soient-ils.

Le soleil monte toujours plus haut dans le ciel, et je tends mes bras en l'air pour faire jouer les rayons entre mes doigts. La chaleur enveloppe ma peau dans une sorte de cocon agréable dans lequel je voudrais rester le plus longtemps possible. Et c'est là que je remarque que ma bague n'est plus glissée à mon index.

DESTINS ENTREMÊLÉSWhere stories live. Discover now