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En rentrant au café, j'étais encore trempée, tachée de sang et Philibert sentait la vase. Alors je suis passée par la porte de derrière qui menait à notre cour. Je voulais éviter de croiser des clients du café habillée de la sorte. Mes parents tenaient à ce que je sois toujours présentable pour travailler. Une question d'image je suppose.

Je me suis rendue dans l'atelier de mon père qui était au fond de la cour. Cet endroit grouillait d'objets en tout genre et de chaises du café à réparer. J'espérais y trouver sa blouse de travail pour pouvoir me changer. Heureusement pour moi, elle était posée sur l'établit au milieu des outils.

Ensuite je suis retournée dans la cour et j'ai remplis une grande bassine d'eau claire. J'y ai d'abord mit mes habits à laver. Et une dizaine de minutes après, c'était le tour de Phil. On ne peut pas dire que ce chien aimait prendre des bains, cependant il empestait tellement que j'y étais forcée.

Lorsque je suis retournée au café, mon père m'attendait de pied ferme au comptoir.

"Où étais tu passée ? s'exclama-t-il, je ne te voyais pas revenir j'étais inquiet.

Il m'observa de la tête aux pieds, fronça ses gros sourcils noirs et ajouta :

-Et pourquoi tu portes ma blouse ?

-J'ai eu un petit souci avec Philibert, répondis-je, mais tout va bien, c'est réglé.

-Qu'est-ce que ce foutu cabot a encore fait ? Il est où d'ailleurs ?

-Rien. C'est bon, il est enfermé dans la cour, je m'en suis occupé.

-Je sais que c'était le chien de ton oncle mais il commence vraiment à me..."

*cling*

La porte du café s'ouvrir et un groupe d'allemand entra dans la salle. Mon père se tut un instant, puis coupa court à notre conversation et s'en allât les saluer. Il les installa à une table, la meilleure du café et me fit signe d'aller me changer.

Nous habitions juste au-dessus de ce café, depuis plus de trois générations. Mon arrière-grand-père avait lancé cette affaire plein d'ambitions, puis l'avait cédé à son fils, qui lui-même l'avait cédé au sien. Mon père lui aussi espérait pouvoir faire de même un jour, mais son fils, mon frère et l'ainé de la famille, avait été transféré en Allemagne pour participer à "l'effort de Guerre". Cela faisait presque cinq mois qu'il était parti là-bas, on avait quelques nouvelles de temps en temps. Mais son absence nous pesait.

Ma mère vivait mal la séparation. Il était âgé d'à peine deux ans de plus que moi et avait beau être un "adulte", il n'en restait pas moins son enfant.

Lorsque je descendis, une fois changée, ma mère avait pris ma pris ma place au comptoir. Elle était en pleine conversation avec un haut gradé, sans doute parlaient-ils de l'approvisionnement de l'établissement. Je ne sais pas. Néanmoins en un croisement de regard avec elle, je compris que c'était important et qu'il ne fallait pas les interrompre.

Alors je suis allée prendre la commande de ce groupe, eux aussi semblaient nouveaux. Du sang neuf chez les allemands, ai-je pensé. Lorsque je me suis présentée à leur table, l'un d'entre eux me dévisagea du regard. Les yeux ébènes, le visage fermé, le crâne rasé, la vingtaine tout au plus, il me regardait avec insistance. Contrairement aux autres, celui-ci était complètement vêtu de noir.

Tout le monde connaissait les Hommes en noir. La police secrète de l'Etat Allemand, aussi appelé la Gestapo, ils étaient chargés d'éliminer les opposants au régime nazi, de gérer la presse, de vérifier les identités et surtout ils chassaient certains apprenants à des groupes politiques ou religieux et en particulier les Juifs.

La dernière fois que des hommes en noir étaient venus dans mon village, ils se sont rendus chez Jacob, un de mes meilleurs amis d'enfance. Jacob n'avait rien fait de mal, ses parents et sa sœur non plus d'ailleurs, et pourtant les hommes en noir les ont arrêtés tous les quatre et les ont emmenés avec eux. On ne les a jamais revus.

"Cinq cafés mademoiselle"

J'ai servi les cafés et cela toute la journée, comme tous les autres jours. Les clients s'accumulaient et les discussions de comptoir aussi. C'était l'occasion pour certains de se retrouver, et pour d'autre de refaire le monde autour d'un verre. En fin d'après-midi, le café commençait à se vider. Mon père est alors venu me voir :

"Je ne veux plus que tu promènes le chien tôt le matin toute seule, a-t-il dit d'un ton ferme, c'est dangereux.

-Mais pourquoi ? demandais-je.

-Ta mère a appris que les allemands soupçonnent les trafiquants du marché noir de passer par la forêt. Je ne veux pas que tu aies d'ennuis, évite d'y aller. En plus, la Gestapo est là aussi.

-J'ai vu.

Je m'apprêtais à me retourner pour vaquer à mes occupations, lorsque mon père me saisit le poignet d'une main ferme.

-Fait attention, insistât-il en chuchotant, je ne plaisante pas Lise. Ils cherchent des Juifs".

La présence d'allemands dans les bois prenait donc un tout autre sens.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 28, 2019 ⏰

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