1er septembre 2017
136 jours. 136 jours qui n'ont eu l'air que de quelques heures, quelques minutes. Ma bibliothèque s'est remplie. De planches dégarnies ornées de quelques livres de mathématiques, elle est passée à un empilement instable de nombreux romans. Certains n'y ont même pas trouvé leur place et jonchent le sol autour de ce meuble prêt à s'effondrer. La lecture a été ma seule occupation ces derniers mois, mon seul refuge, enfermée entre ces murs. À travers les lignes, j'ai découvert un autre univers, une évasion, un soulagement. À ce rythme, chaque récit ouvert le matin était fini au moment de fermer les yeux. Ces assemblages de papiers sont devenus ma propre barrière contre le monde.
Malgré ce ravitaillement constant, cet appartement a été vidé de plus de la moitié de ce qu'il le rendait « chez nous », demain je n'aurais plus le choix, je devrais sortir de ce monde irréel et mettre en carton ce qu'il reste. Réveil à 7 h activé.
Trois tasses de café plus tard, il est déjà 11 h et seulement quelques verres dans une boîte quand la sonnette retentit. Assise sur le sol au milieu des affaires, je me lève à contrecœur. J'ouvre la porte sans un coup d'œil dans le judas. Pas besoin de me renseigner sur l'identité de l'individu qui me sort de mes rêveries, toutes les visites reçues ces derniers mois sont l'œuvre d'une personne. Marie.
Je connais Marie depuis seulement deux ans, pourtant c'est désormais mon seul contact avec le monde extérieur – hormis la caissière bougonne de l'épicerie d'en bas –. L'intrus pénètre dans l'appartement, analyse l'environnement puis s'assoit sur le canapé en soufflant.
— Sérieusement Léo ? Est-ce que je dois vraiment te rappeler une nouvelle fois que ton proprio récupère les clés demain matin ?
— Bonjour à toi aussi..., marmonné-je. Ne prétends pas que tu t'attendais à débarquer ici et découvrir un appartement vide, propre et mis en boîte... Il va falloir que tu arrêtes de me surestimer, continué-je en retrouvant ma place sur le parquet.
— Et toi, il va falloir que tu te bouges le cul ! Il te reste un week-end pour t'installer, lundi c'est la rentrée. Je t'ai laissé du temps, mais là tu n'as plus le choix, il faut se reprendre en main ma belle !
Et voilà, ça commence... Le discours habituel de mon amie ; me motiver, sortir de ma grotte, avancer, passer à autre chose... Je lui dirais bien que c'est facile pour elle, qu'elle n'est pas dans ma situation et que la rentrée ou le déménagement sont le moindre de mes soucis. J'ai bien envie de la renvoyer chez elle pour retourner au fond de mon lit au calme. Marie a déjà entendu tout ça. Je l'ai déjà mise à la porte, repoussée, insultée, blessée... Malgré tous mes efforts elle est restée. Elle a encaissé sans rien dire. Aujourd'hui je n'ai pas la force de l'affronter. Je préfère une nouvelle réponse silencieuse qu'elle connaît désormais si bien.
— Bon allez, on démarre où ? Garde-robe ? Cuisine ? Tes cours ?
La furie s'agite dans l'appartement, elle tourne en rond et cherche par quoi commencer.
— Léo, rassure moi... On ne va pas devoir embarquer cette tonne de livres ? me demande-t-elle le regard affolé.
— Comment ça « on » ? Rentre chez toi et profite de tes derniers jours de vacances ! Je vais me débrouiller seule !
— Mais bien sûr ! Allez, garde-robe !
Cela fait désormais une heure que j'observe mon amie se débattre au milieu de mes vêtements. « Plus à la mode », « canon », « plus à ta taille », « oh il faudrait que tu reportes cette robe, elle t'allait si bien ! ». Je me contente d'acquiescer et de mettre du scotch sur les cartons pleins. Je ne comprendrais jamais pourquoi elle s'acharne autant avec moi. Pourquoi n'a-t-elle pas laissé tomber comme la plupart de mes anciennes connaissances ? Marie et moi n'avons jamais été très proches ; non pas que certaines personnes l'étaient plus ; mon seul véritable ami, le seul qui me connaissait réellement c'était lui. Je n'ai jamais eu l'envie ou pris le temps de laisser entrer quelqu'un d'autre dans ma vie.
Je me souviens de la rencontre avec Marie. C'était il y a deux ans, ma première rentrée à la fac dans une ville que je ne connaissais pas. Timide par nature, j'ai passé la journée à observer ce nouvel environnement et ses occupants. Elle est arrivée en retard dans l'amphi lors de la réunion de rentrée. Je l'ai tout de suite remarquée. Elle a traversé la salle avec assurance, tête haute. Je me suis vite fait une idée à son sujet. Fille à papa, corps de mannequin, cheveux blonds tombant en cascade. Tout ce que j'aurais pu détester. J'ai appris à être méfiante. Et moi qui me fais rapidement un avis sur les gens, j'avais cependant tort à son propos.
Originaire de la région, elle a été la première à me prendre sous son aile, malgré mon air sauvage. J'ai découvert une personne simple, avenante, ouverte, toujours présente pour aider les autres. Si l'on ne tient pas compte de l'Audi TT coupée avec laquelle elle se rend à la fac et son logement de quatre pièces, elle pourrait être ce que l'on considère comme une étudiante lambda.
Je ne me suis jamais vraiment intéressée à Marie durant ces deux années. Notre relation est toujours restée au stade de quelques heures de cours passées ensemble. À la fac, elle était celle qui sortait ma vie sociale du néant. Cet été, lors de ses nombreuses visites, elle comblait les heures en ma compagnie silencieuse par de longs monologues sur son existence, sa famille, ses vacances. Elle pense sûrement avoir parlé dans le vide la plupart du temps, pourtant ses histoires ont eu un effet aussi positif que mes lectures. Même si son insistance et ses visites quasi-quotidiennes m'ont d'abord mise hors de moi, je dois avouer qu'au fil des semaines sa présence m'a redonné goût à la vie.
Je l'observe s'affairer dans mon dressing lorsque je reconnais un tee-shirt qui vole dans le sac « à jeter ».
— Marie, stop ! Pas celui-là !
— Tu te fous de moi ? Tu veux vraiment garder ce vieux truc troué ?
— Oui, s'il te plaît...
Mon amie me regarde d'un air incrédule, puis elle transfère le tee-shirt dans un carton sans demander plus d'explication.
— C'était à Malo..., murmuré-je.
— Ah... Bon Léo, il est plus de midi et je commence à avoir vraiment faim à force de trier ton désordre... On sort manger !
Sortir m'est presque plus difficile que de vider cet appartement. Mes contacts avec l'extérieur sont limités à des tours hebdomadaires chez l'épicier d'en bas de mon immeuble et, plus récemment, quelques visites de studios. Je tente une diversion.
— Ça te dit pas de commander ? On pourra continuer à avancer ici comme ça.
— Déjà, je ne vois pas de « on » qui tienne en parlant du rangement de cet appart, tu me regardes et moi je bosse ! J'ai besoin de prendre un peu l'air avant la suite ma Lélé... Allez go je vais te montrer un nouveau restau que j'ai testé la semaine dernière. Un bon italien, tu vas adorer !
Malgré mon angoisse, je ne peux pas lui refuser. Je lui dois bien ça. Et puis dans trois jours je n'aurais plus le choix, je devrais sortir pour me rendre en cours même si cette perspective ne me réjouit pas.
— Allez OK, c'est parti...
Rien que pour la tête de Marie en ce moment, je ne regrette pas ma décision. Elle ne s'attendait pas à gagner la partie si facilement. Certainement par peur d'un changement d'avis de ma part, elle ne fait aucun commentaire et enfile son trench.
VOUS LISEZ
Cyclone | Publié ✔
RomanceOublier son premier amour n'est jamais simple. Ce n'est pas Léopoldine qui prétendra le contraire. Après une histoire passionnelle et une séparation brutale, la jeune femme est incapable de tirer un trait sur Malo. Son départ l'a laissée apathique e...