- 2 -

94 8 0
                                    

Il pleuvait des trombes d'eau lorsque Virgile arriva à l’entrée de la rue. Eva ne s’était pas trompée ou plutôt le système météo qui l’avait renseignée. C’était suffisamment rare pour se permettre de le souligner. Avec tout ce foisonnement d’informations recoupées, répétées et transmises, les prévisions météo étaient devenues l’astrologie des siècles passés. Imbuvables, simplifiées à l’extrême et tout à fait non fiables si l’on s’en référait à la promesse initiale de “prévision”.

Virgile s’était interrogé durant tout le trajet sur la raison qui l’avait poussé à répondre à ce message mais bien qu’il eût retourné tous les paramètres, sa rationalité primaire avait échoué à lui fournir toute explication logique. Cela dit, au final, tout cela lui importait peu. Il agissait sous le coup d’un bug vraisemblablement et en découvrir la source était raisonnablement le meilleur facteur de motivation plausible.

Les rues de Paris étaient plutôt désertes. C’était l’été, il ne fallait pas s’en étonner. De plus, au fur et à mesure des années de toute manière, les gens circulaient moins. Les déplacements physiques n’avaient pas de fondement lié à une quelconque efficacité et donc, ils étaient jugés très souvent comme parfaitement inutiles voire nocifs. Nocif pour la santé de celui qui se déplaçait lorsqu'on prenait l’ensemble des probabilités de risque. Nocif pour les autres car se déplacer, c’était nécessairement faire appel à des ressources énergétiques sous-utilisées et polluantes. C’était un lieu commun mais cette façon de penser était la seule admise. Les autres n’étaient que des ersatz d’une pensée moyenâgeuse. Virgile n’avait pas réalisé tout de suite mais l’adresse du lieu de rendez-vous était exactement située en face du Muséum d’Histoire Naturelle. En regardant la carte du quartier, il semblait que c’était le seul élément remarquable. Y avait-il un rapport ? Il n’en savait rien mais il préférait avoir récupéré cette information avant son arrivée. Cela le rassurait. C’était sûrement purement psychologique. Pour ce qui était de l’adresse en elle-même. Il n’y avait rien à en tirer. C’était une sorte de résidence avec plusieurs appartements sur plusieurs étages : un immeuble locatif des plus ordinaires. La mystérieuse personne qui lui avait envoyé ce rendez-vous, habitait-elle ici ? Virgile avait demandé à Eva de faire de le recoupement avec l’adresse de ses amis et des amis de ses amis sur le différents réseaux sociaux auxquels il était abonné mais cela n’avait rien donné. Cela dit, cela ne l’avait pas découragé pour autant. Il était quand même venu.

L’alerte du rendez-vous placée dans l’agenda électronique se fit entendre. Il était donc deux heures moins cinq.

"Vous êtes pile à l’heure."

Virgile sursauta quelque peu. La voix qui venait de prononcer cette phrase l’avait fait juste à côté de son oreille. Il en avait même senti le souffle de chaque mot. Il se retourna et découvrit son interlocuteur.

Comme il s’y attendait par le timbre de la voix, c’était une femme ou plutôt, une jeune fille. Plutôt mince à la silhouette un peu garçonne. Ses cheveux bruns étaient courts, coupés dans un carré plongeant très rectiligne. Il ne voyait pas ses yeux, ni ses sourcils : ceux-ci étaient masqués par des lunettes solaires au reflet argenté.

Virgile recula d’un pas.

"Je vous connais ?"

"Non, je crois pas. Mais à la limite, on s’en fiche un peu, n’est-ce pas, Virgile ?"

"Vous, vous me connaissez. A priori."

"Bingo. Mais pour dire toute la vérité, je ne sais juste que ce j’ai besoin de savoir."

"C’est bien."

Passé l’instant de la surprise, Virgile avait repris sa prestance naturelle. Il continua :

"Le message, c’était vous ?"

La jeune fille qui n’avait pas cessé de se mouvoir de droite puis de gauche comme si elle tenait pas en place, stoppa net.

"A vrai dire… Non."

"C’est ennuyeux."

"Pourquoi ?"

"Parce que ça veut dire que vous n’êtes pas mon rendez-vous et que je vais être en retard."

"Ça pourrait vouloir dire cela. En effet. Mais non. C’est bien moi, votre rendez-vous."

Virgile ne put s’empêcher d’avoir un sourire. Il n’y avait rien de drôle dans la situation mais les réparties de la jeune fille lui paraissaient tellement réglées au millimètre qu’il lui semblait presqu'elle récitait son texte.

"Il y a quelque chose de drôle ?"

Virgile secoua la tête et agita la main.

"Non, rien de bien important. Mais au risque de vouloir hâter un peu la discussion : est-ce qu’il serait possible de me dire, pourquoi je suis là ?"

"C’est légitime. Mais tout d’abord, je vais vous retourner la question : pourquoi êtes-vous là ?"

"Laissez-moi réfléchir… Parce qu’on m’a envoyé un message avec une mention urgente en me demandant de me rendre à quatorze heures à cette adresse dans ce quartier ? Je sais, c’est plutôt basique comme réponse mais à l’heure actuelle, je n’en ai pas d’autre…"

Du coin de l'oeil, Virgile observait les réactions de la jeune fille mais elle faisait preuve d’un certain aplomb et ne laissait rien transparaître. Aucun surprise, aucune émotion, aucun geste trahissant une certaine nervosité.

"Okay." fit-elle.

"J’aime bien les sarcasmes mais malheureusement, nous n’avons pas le temps pour cela. Tu me suis ?"

"Tu... ?"

"Tu préfères que je te vouvoie, peut-être ?"

"Pour être franc, je m’en fiche, mais je m’étonne juste d’un si brusque changement de registre."

"Hum… Tu as raison mais tu vas voir. La partie mondanité va rapidement être le cadet de tes soucis. Alors… Il vaut mieux qu’ on abrège cela tout de suite."

La jeune fille ne laissa pas le temps à Virgile de répondre. Elle le frôla et avança sur le trottoir en direction du numéro 14 de la rue.

Après une petite hésitation, Virgile lui emboîta le pas.

"Je vais être honnête avec toi. Je suis en général plutôt perspicace et je n’ai pas l’habitude de foncer tête baissée vers l’inconnu…"

"C’est pourtant ce que tu as fait là, en venant ici ? Nan ?"

"Certes. Un point pour toi. Cela dit, j’ai dit en général ce qui signifie que parfois, je fais des exceptions. Mais c’est pas là, le propos. Est-ce que tu vas me dire ce que je fais là ?"

"Patiente un peu et tu auras ta réponse dans peu de temps. Cela ne sera plus très long."

La jeune fille s’arrêta devant le portail du numéro 14. Elle s’approcha de l’interphone et composa un code. Le son de la serrure électrique qui se déclenche dans un bruit tel que cela résonna dans toute la rue.

"Plutôt violent."

De la main, la jeune fille lui demanda de passer devant. Virgile s’exécuta et à peine, avait-il passé le pas du portail qu’il sentit un coup s’abattre dans le bas de son cou qui lui fit perdre connaissance.

Sans Sucre Ajouté (version originale)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant