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Je n'ai pas été beaucoup collé dans ma vie. En fait, je ne l'ai jamais été. Je ne sais pas vraiment comment ça se passe, même si je me doute que ça ne ressemble pas à The Breakfast Club.

C'est donc avec une petite boule au ventre que j'arrive dans la salle vide de permanence ce mercredi après-midi, alors que tous mes amis sont sortis au cinéma voir le dernier blockbuster à l'affiche. J'ai un petit peu la poisse, parce que je me faisais une joie de sortir avec eux tous - il faut dire que c'est devenu rare nos sorties, avec les examens qui approchent - mais je suis un peu soulagé : les films d'action, c'est pas vraiment mon type.

Je préfère les films d'amour bien mielleux mais forcément, ça ne colle pas avec l'image du garçon fort et musclé que la société nous oblige bien fièrement à exposer.

Je ne pense pas que l'un empêche l'autre, mais je doute que tout le monde soit du même avis.

Je choisis une table au fond, à droite, près de la climatisation. La chaleur de l'été m'exaspère, pourtant, je n'y peux rien.

La porte s'ouvre.

Le professeur entre, et m'explique que je dois rester ici 3 heures (que ça va être long). Il regarde sa montre en bougonnant, et m'annonce qu'il est dans la pièce en face dans le couloir. Pas un bruit, où je reviens la semaine prochaine. J'acquiesce, de bonne foi, mais franchement, comment il veut que je fasse du bruit tout seul ?

Une fois qu'il est retourné dans son bureau, je sors un cahier de maths, grand ouvert sur ma table. Puis, j'ouvre ma trousse, sors un critérium et une gomme stratégiquement placés de part et d'autre du cahier, et enfin dispose mon manuel par-dessus. Parfait.

Ensuite, je sors mon calepin et mon crayon de papier et commence à dessiner un paysage. Tranquillement le croquis prend forme, et je commence à effacer quelques traits pour rendre l'idée plus nette quand la porte jusqu'ici entrebâillée, s'ouvre en tapant violement contre le mur, faisant trembler fenêtres, tables et même ma gomme qui s'élève dans un petit soubresaut.

Même moi je sursaute, et dans ma panique à peine dissimulée je fais tomber mon calepin qui tombe dans un claquement, faisant un bruit qui me semble beaucoup trop fort.

Je commence à bégayer des excuses moisies à l'intention du professeur qui vient de me surprendre à ne pas travailler en ramassant mon carnet, mais en relevant la tête, je suis stupéfait et ma bouche cesse de produire le moindre son.

Un mec, qui m'est totalement inconnu – quoique plutôt beau-gosse – vient d'entrer.

Il me voit, baille et va s'assoir à l'autre bout de la salle.

J'aimerai avoir le courage de lancer un bref « salut », histoire de paraître trop cool, ou bien de lancer une réplique cinglante du style « ouh, c'est ce qu'on appelle une entrée fracassante ! », pour sembler drôle, voire intéressant. Malheureusement, je n'en ai l'idée que trop tard, et si je trouve le courage de le dire, ça semblerait bizarre et hors-contexte.

Donc, je la boucle, et je reprends mon dessin.

Vraiment peu de temps après, genre, une minute, j'entends les pas du prof dans le couloir et range en vitesse mon cahier pour me concentrer sur ma fausse concentration envers les maths. Stylo, lunettes et calculatrice. J'ai l'air du parfait intello. Génial.

Génial : je ne sais pas ce que ce mec bizarre va penser de ma dégaine de naze, mais enfin, j'essaie de me convaincre que ça n'a que très peu d'importance. Genre, pas du tout.

Malheureusement, l'idée de passer pour un nul ne me sors pas de l'esprit, je ne sais pas encore pourquoi, et c'est bien dommage.

dessine-moi un nuageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant