t r o i s

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Il recule, s'assied à côté de moi, mais garde son bras sur mon épaule. Il regarde droit devant.

Je crois que je l'ai perdu.

Je me remets finalement à dessiner, après l'avoir observé pendant une minute ou deux sans bouger.

Cette esquisse se transforme vite en dessin, comme si on avait fait la mise au point avant de prendre la photo. Pourtant, je n'ose pas poser mon crayon de couleur sur la feuille. Il manque un truc.

Je reste en suspens comme ça pendant assez de temps, enfin, assez je suppose pour que Jungkook me fixe, avec ce sourire que j'adore déjà.

Je tourne une page du calepin et le lui tend, avec un crayon.

Sous son regard amusé, je me lance :

« Dessine-moi un nuage, Kookie. »

Tout gêné, je dois faire fureur pour ne pas creuser un trou et m'y cacher jusqu'au moins ma mort. C'est horrible ! Je n'aurai jamais dû l'appeler comme ça.

Je sens son regard, mais je ne remonte pas le mien. Je suis trop froussard, sans doute.

Il laisse s'échapper un petit rire. Ah, je me rends.

« C'est pas plutôt un mouton, normalement ? »

Je le regarde, et j'essaie de ne pas défaillir.

« Tu manques d'imagination. Tous les moutons ne sont-ils pas tous un peu des nuages ? »

Ça le fait rire. Même ses yeux sourient. Il est magnifique.

Finalement il prend le cahier, enlève son bras de mon épaule et attrape le crayon posé sur la feuille qui ne semblait attendre que ça.

Je ressens un petit vide, mais quand j'ose couler un regard dans sa direction, c'est à moi de m'esclaffer. Il fait une tête trop mignonne quand il se concentre. Ses grands yeux écarquillés, il passe sa langue sur sa lèvre supérieure et je fonds, comme une bougie, si ce n'était pas déjà fait.

J'ai chaud.

Il me rend le carnet en le faisant glisser sur la table.

Quand je regarde ce qu'il a dessiné, j'éclate de rire. Son nuage n'a pas vraiment la forme d'un nuage. Si on ne m'avait pas dit que c'en était un, j'aurai pensé que c'était une tâche. Juste une tâche. Mais, dessinée par Jungkook.

Finalement, plus je la regarde, sa tâche, plus elle est jolie. Irrégulière. Mon rire se transforme en sourire. Je l'apprécie de plus en plus.

Ça me donne une idée. Pourtant, je n'ai pas le temps de retourner à mes aspirations artistiques, qu'il me reprend le feuillet pour examiner les vieux dessins vite faits que je fais en cours, quand je m'ennuie.

Je m'ennuie beaucoup, par conséquent, ça n'étonnera personne si je dis que le cahier est presque entièrement rempli.

Il prend son temps, sur chaque dessin. Il examine chacun comme si c'était d'authentiques œuvres d'art. Inutile de préciser que je me mets à rougir à cette pensée. J'ai comme l'impression qu'il me perce un peu plus à jour à chaque page. Il donne un temps infini à chaque trait, comme s'il absorbait chacun d'entre eux. Les secondes deviennent minutes, les minutes sont faites heures.

C'est à la fois horrible, et stressant. A quoi pense-t-il ? En revanche, moi, j'ai du mal à le cerner à chaque page de plus qu'il tourne. Indéchiffrable.

Il finit par s'arrêter sur un dessin, représentant un garçon, de dos, qui admire la mer et le vent, dans les tons froids, mais mon personnage est habillé en ocre et marron.

Il griffonne au dos : j'aime bien celui-ci.

Avec sa jolie écriture guirlande, ça donne un aspect différent au dessin. Comme si on avait rajouté une dimension.

Quelque part, qu'il y écrive au dos ne me dérange pas. Quelqu'un d'autre, certainement, par contre.

dessine-moi un nuageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant