Chapitre 1

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Moyana

          La jeune métisse s'avança vers le vide à pas lents, les traits défaits. Sa peau mate était parée d'un voile de pâleur, ses yeux vitreux reflétaient une mer déchainée dont les vagues s'écrasaient sur les rochers en contrebas. Le souffle puissant du vent faisait voler ses boucles, formant un halo sombre autour de sa tête. Pas à pas, elle se tint au bord de la falaise, tout son corps en équilibre à quelques centimètres de la paroi rocheuse.

           Cinquante mètres plus bas, les vagues s'affalaient selon un rythme incessant contre les rochers. De petits morceaux d'écume voletaient dans l'air froid de cette journée d'automne à la manière de bulles denses malmenées par le vent. Un souffle venu du large s'engouffrait dans sa gorge, lui faisait respirer par bouffées presque forcées cette fragrance salée.

           Elle vacilla, comme hypnotisée par cette mortelle hauteur, ce vide qui s'étendait de ses pieds à la côte dentelée de pierre acérée en contrebas. Un peu plus loin, des enfants couraient sous l'œil vigilant de leurs parents, à deux foulées du bord. Un frisson d'appréhension la parcourut. Elle appréciait la beauté froide de l'endroit, qui parvenait à lui couper la respiration, mais qui la terrifiait tout autant.

           Ici, l'impression d'être au bout du monde, au bout de tout, au bout de soi, prédominait. Il ne semblait rien exister d'autre que ce point de vue capable de vous submerger tandis que la mer furieuse attaquait le pan de falaise. Une vision brève du chaos s'offrait à son regard, embrasait ses sens, accélérait les battements de son cœur. Elle s'oubliait.

          Une goutte d'eau glacée s'écrasa sur sa joue, provoquant en elle un frisson désagréable. Elle porta son regard sur les goélands qui parvenaient à planer majestueusement malgré les souffles puissants. Leurs piaillements résonnaient contre la paroi rocheuse, se transformaient en une mélodie lancinante, un chant offert au ciel et aux éléments déchaînés.

          Un enfant trébucha sur un caillou. Un cri d'effroi retentit alors qu'il se précipitait vers le bord de la falaise. La pluie s'abattit brusquement, à la manière des mains de sa mère pour le retenir. Une voix retentit alors au milieu de la tourmente :

— Moyana !

             Elle ne se retourna pas mais arrêta de détailler le gouffre qui s'étendait à ses pieds, vision partielle de son environnement mental. Raphaël la rejoignit en courant, ralentit en s'approchant d'elle. Aussitôt posté à ses côtés, il l'étreignit, sans toutefois la faire reculer.

— Ensemble, dit-il.

         Une larme roula sur la joue de la métisse pour aller se perdre sur le pull de son frère. La pluie déferlait sur eux, tachant leurs vêtements d'auréoles sombres. De concert, ils tournèrent la tête vers une myriade de couleurs dans le ciel. À mesure qu'elles s'estompaient, un sourire naquit sur les lèvres de la jeune fille, baignée dans la lumière chaude du soleil.

— Tout va bien, déclara-t-elle.

taciturne éternel  | Sous contrat d'édition chez Cherry Publishing |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant