Moi vs ma famille

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Oui, parce que bon, ça a quand même eu de l'importance. Honnêtement, j'aurais pu tomber sur pire, niveau gestion alimentaire, mais d'un autre côté, j'ai quand même été blessée par certaines attitudes.

Le positif, c'est qu'on me laissait manger ce qui me convenait, tant mes parents que mes grand-parents, et la plupart du temps sans rien dire. Mes grand-parents ont essayé de faire changer les choses par la ruse quelquefois, comme avec la glace ou les haricots verts « ce sont juste des frites vertes ! », mais ne sont pas allés plus loin que leurs échecs. Je sais que j'attristais beaucoup ma grand-mère, parce qu'en tant que rescapée de la Seconde Guerre mondiale depuis la zone occupée, ayant énormément souffert de privations, elle avait tendance à vouloir à tout prix faire manger les autres (comme beaucoup de grand-mères me diriez-vous), autant en quantité qu'en diversité. Elle croyait souvent aussi que si je ne mangeais pas, c'était que je ne voulais pas. Quant à mes parents, ils ont déjà essayé de me forcer, en approchant la nourriture de ma bouche par exemple, quelques fois en me pinçant le nez. Je devenais alors une espèce de possession du diable qui hurlait (mais pas trop, sinon ma bouche ouverte pourrait laisser passer le petit pois, oui, un petit pois, d'où le titre), pleurait et se débattait comme pas possible. Ils ont aussi essayé de me faire rester assise devant mon assiette tant que je n'aurais pas mangé ce qu'elle contenait. Oui, vous avez deviné, j'ai passé beaucoup d'heures à ne rien faire sur une chaise. Enfin pour être honnête, pas tant que ça non plus, ils finissaient aussi par en avoir marre de me surveiller. Face à l'inefficacité de ces méthodes, mes parents ont fini par les délaisser complètement, se contentant de m'emmener voir divers psychologues.

Il y a une chose cependant, qui a été capable de me faire goûter quelque chose petite. Les paroles de ma soeur. Il faut savoir que ma soeur a toujours eu énormément de pouvoir sur moi ; elle a une personnalité imposante, qu'elle a malheureusement trop souvent utilisé à mon détriment. Je me sentais souvent écrasée par elle et voulais sans cesse prouver que j'étais mieux que ce qu'elle pensait de moi. Un jour donc, ma mère insistait pour me faire goûter des pâtes colorées, ce qui était une bonne idée finalement, puisque cela se rapproche assez bien des pâtes classiques. Pourtant, les pâtes colorées étaient une horreur pour moi, plus que d'autres choses plus inconnues : nos émotions ne sont pas tout le temps logiques. Enfin voilà, situation initiale, ma mère veut me faire goûter ses pâtes colorées et ma soeur mange des nuggets (vous avez peut-être déjà deviné la suite). Ma mère insiste, insiste, me dit à un moment « si tu ne goûtes pas les pâtes, tu devras goûter les nuggets, il faut que tu goûtes quelque chose ! », ce à quoi ma soeur répond quelque chose dans le genre « rire habituel rabaissant Tu rigoles, elle goûtera jamais des nuggets ». J'avoue que dit comme ça, ce n'est pas si terrible, mais je vous assure qu'associé au ton utilisé et à la personnalité de ma soeur, ça a eu un effet assez puissant. J'ai attrapé une nugget (ou une nugget, je ne sais pas), et je suis sortie dans mon jardin, parce que goûter est toujours plus facile sans la pression des regards extérieurs. Alors non, les émotions négatives que je ressentais, dignes d'une Serpentard, n'ont pas pour autant rendu la tâche facile : je n'avais pas le contrôle de ma néophobie. Je suis restée très longtemps en pleurs à regarder un(e) nugget, puis j'ai donné un croc. Je l'ai montré à ma mère, j'étais fière, et puis le contrecoup est arrivé. Je me suis mise à pleurer encore plus fort, je suis allée m'enfuir dans mon lit, et j'ai passé l'après-midi là, apathique. J'avais honte, j'ai toujours honte. Je me sentais sale, j'avais l'impression de m'être trahie, que je n'aurais jamais dû faire ça, j'étais encore terrorisée. Je refusais d'avaler autre chose, comme si c'était devenu mal aussi. Je suis persuadée que cet épisode, qui me hante encore, a largement fait entrave à ma progression par la suite, parce que je n'étais pas prête, parce que je ne l'avais pas fait pour une bonne raison, et parce que j'avais associé des émotions négatives au fait de goûter quelque chose. Je suis d'ailleurs plus tard devenue végétarienne, par conviction c'est vrai, mais en plus de cela, avec une phobie désormais dix fois plus puissante envers la viande.

D'autres choses m'ont blessée, principalement le fait que ma mère considère parfois mon régime alimentaire comme un caprice. Quand j'ai découvert ce site sur la néophobie alimentaire, c'était tellement génial comme moment pour moi. Dès que ma mère est rentrée, je lui ai tout de suite montré, j'étais si heureuse, j'avais trouvé ! Elle m'a dit que ce n'était pas moi, que ce n'était pas la même chose que j'avais, peut-être plus jeune mais plus maintenant ; je goûtais d'autres choses quand je le voulais. Alors oui, en effet, je commençais un peu à évoluer. Il n'empêche que ça me coûtait toujours et que j'avais encore le même ressenti, on ne se débarrasse pas d'une phobie comme ça, je commençais juste à un peu mieux vivre avec. Vous pouvez imaginer que le fait qu'elle dénie ce que j'avais m'a conféré un sentiment d'injustice profonde. Bon, bien sûr, je me suis juste mise à pleurer et je suis partie dans mon refuge le lit. Mais j'avais l'impression qu'elle m'avait volé quelque chose, ce jour-là. Il est arrivé d'autres fois que j'ai quelques petites remarques. Elle ne cherchait pas à comprendre et ça me mettait tellement en rogne ! Le fait qu'elle ne me croit pas, ça me faisait tellement de mal ! Je ne saurais pas expliquer à quel point, mais voilà, je souffrais de quelque chose, et on me balançait parfois que je faisais juste semblant. C'était d'autant plus blessant que j'ai toujours eu une personnalité qui voulait plaire à tout le monde, méga perfectionniste, dans le besoin de protéger ma vie comme mon assiette. Je dis protéger, et non contrôler, volontairement. Longtemps, les psychologues et moi utilisions contrôler. J'ai longtemps eu une honte liée à ce terme, parce qu'après tout, une personne qui veut contrôler n'est pas une personne saine (enfin tout dépend bien sûr, mais j'expose juste mon point de vue de l'époque), et le besoin de contrôle peut mener à de très mauvaises choses. J'ai cependant fini par accepter que j'étais comme ça et que j'essayais de changer. Pour finalement, aujourd'hui, revoir cette notion. Après tout, je ne cherchais absolument pas à contrôler la vie des autres, et puis je ne cherchais pas à contrôler ma vie en général non plus. Je n'hésitais pas à aller faire tout un tas de choses inconnues et à partir à l'aventure. Finalement, je voulais juste protéger mon corps de ce que j'estimais dangereux, parfois à tort, ce qui menait à un contrôle de certains trucs, c'est sûr, mais ce n'était pas le contrôle que je cherchais en premier lieu.

Enfin voilà, j'ai quand même pas mal dévié du sujet, mais je me suis laissée parler, parce que... ben, c'est pour ça que je suis là héhé.

Pourquoi j'ai peur des petits poisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant