L'air était froid et humide, un mélange d'iode et d'algues, de sable et de bruyère. Mouettes et goélands dessinaient de longs cercles tranquilles dans le ciel, nullement impressionnés par les énormes nuages gris cachant le soleil. Le vent hurlait dans les coursives de pierre, à l'abandon depuis des siècles. Les ruines du château, recouvertes de mousse et d'embruns, s'élevaient au dessus de la falaise. Vestiges d'un passé empreint de traditions et de magie, elles s'étiraient sur la lande, promettant à ceux qui osaient s'y aventurer des visions de guerriers en kilt aux armes étincelantes, de sorcières flamboyantes aux bijoux celtiques, de secrets enfouis et d'aventures épiques.

     L'étoffe fluide de sa robe blanche claqua dans le vent caressant ses chevilles. Ses longs cheveux auburn volaient fièrement dans l'air marin, aussi indisciplinés et sauvages que les éléments de la nature autour d'elle. Son regard se porta sur la mer, visible entre les morceaux de murs effondrés. Grande étendue grise sous le ciel lourd, sa surface était agitée par des vagues déchaînées, telles de puissants Vikings à l'assaut de la côte abrupte et indomptée.

     Comme à chaque fois qu'elle se trouvait ici, ni le froid ni le mauvais temps ne parvenaient à gâcher le sentiment de plénitude qu'elle ressentait ici. Elle reprit sa route, avançant entre les pierres, ses pieds nus foulant l'épais tapis de mousse qui recouvrait désormais le sol. Quelques rayons de soleil illuminèrent l'horizon, révélant toutes les couleurs de la verdure environnante : le kaki foncé des lichens, le vert profond des fougères, le violet délicat des fleurs de bruyère. Des rubans de brume serpentaient entre les plantes et les roches, baignant le lieu d'une atmosphère magique.

     Ses pieds continuèrent de la porter et elle sortit enfin, laissant derrière elle les couloirs de l'ancien château. Devant elle, les ruines laissèrent place à une grande cour ouverte, bordée de part et d'autre d'immenses murs plus ou moins effondrés. Elle semblait de ne pas avoir de fin, donnant l'impression de se jeter dans la mer, malgré la présence d'un garde-corps en pierre qui avec l'âge se fondait dans le décor.

     Mais le plus fascinant n'était pas l'horizon agité où les imposants nuages gris se mariaient à la mer en furie, comme une seule et même entité surnaturelle, furieuse et magnifique à la fois. Non, ce qui lui coupait le souffle – comme à chacune de ses venues – était le guerrier qui se dressait fièrement face aux éléments. Tourné vers la mer, les jambes écartées dans une posture masculine et dominante, sa chemise blanche contrastait avec les couleurs bleue et verte du tartan de son kilt, un plaid aux couleurs identiques drapé en travers de son torse. Même si elle ne pouvait voir son visage, elle imaginait sans peine l'expression fière et féroce de son regard. Ses cheveux longs noirs étaient attachés par un lien de cuir, sa main gauche sur le pommeau de son immense épée, tandis que sa main droite était fermée en un poing vengeur.

     Son cœur se serra, submergé par une mélancolie qu'elle ne savait expliquer.  À chacune de ses venues, il était là, face à la mer, telle une gargouille protectrice, impassible et imposante. Pourtant de lui, elle ne savait rien. Elle ne connaissait ni son nom, ni son visage. Elle connaissait seulement de lui les couleurs passées de son tartan, les muscles puissants de ses jambes sous son kilt, ou encore l'éclat discret du joyau sur le manche de son sgian dubh, glissé dans sa chaussette droite. Comme à chaque visite, elle restait immobile à la sortie des ruines, fascinée par la vision de ce guerrier solitaire. Et comme à chaque visite, il semblait ne pas avoir conscience de sa présence, tourné invariablement vers la mer.

     Seule venait à elle, portée par le vent marin, son odeur. Et quelle odeur ! Une odeur de cuir et de santal, enveloppante comme la douce chaleur d'un feu de cheminée dans un charmant petit cottage, réconfortante et familière, mais en même temps si masculine que la tête lui en tournait, grisée par cette présence virile. Cette odeur emplissait ses narines, l'hypnotisant, fatalement attirante. Nul doute que la femme qu'il choisirait d'honorer se verrait gratifiée là d'un amant insatiable et fougueux, et qu'il la comblerait pour des nuits et des nuits.

     Ses parties féminines réagirent par instinct, ses tétons deux petites pointes dures et roses, aucunement dissimulés par l'étoffe légère de sa robe. Une vague de chaleur prit naissance dans son ventre, pour se répandre jusqu'à son cœur le plus intime, tel le brouillard se répandant sur la lande écossaise. Mais c'était là un feu intense qui se propageait, un brasier la consumant de l'intérieur. Et malgré cette langueur insoutenable, elle ne pouvait se résoudre à bouger, spectatrice silencieuse et immobile de cette apparition.

     Pourtant elle ne pouvait chasser l'idée de son esprit que quelque chose était différent de ses autres visites. Peut-être était-ce la force du vent, déchaînant la mer telle une furie vengeresse, faisant claquer sa robe et danser ses cheveux. Peut-être était-ce la lueur du jour, rayons de soleil timides perçant les nuages de façon sporadique, baignant l'endroit tantôt d'une atmosphère féerique, tantôt d'une ambiance menaçante.

     Mais quand il se retourna vers elle, il lui sembla que tout l'air s'était échappé de ses poumons et que le temps s'était figé. De grands yeux vert d'eau la dévisagèrent, empreints de surprise. Il était encore plus beau que dans ses rêves. Une mâchoire prononcée et des pommettes saillantes dessinaient son visage. D'épais sourcils sombres comme la nuit encadraient ses yeux, limpides et cristallins tels les eaux de la baie par temps calme. Quelques mèches folles de la couleur des ailes d'un corbeau s'étaient échappées du lien en cuir retenant ses cheveux, et elle pouvait apercevoir à travers l'ouverture de sa chemise une traînée de poils de la même couleur d'ébène. Un sporran aux couleurs de son kilt et une épaisse ceinture de cuir noire complétaient sa tenue.

     Avait-elle jamais vu homme plus magnifique ? Outre sa beauté physique, il avait la grâce d'un prédateur sauvage et le charisme d'un chef de clan. Sans nul doute était-il habitué à mener de grandes conquêtes, à guider ses hommes à la victoire et à se battre pour sa cause. Se pourrait-il qu'il soit un laird ? Le guerrier la dévisageait, une lueur indescriptible dans son regard. Elle resta ainsi hypnotisée, incapable de bouger, telle une biche face à un loup. Pourtant elle ne ressentait aucune peur, seulement une attraction féroce, un lien magique qui semblait les relier malgré la distance.

     Le vent s'intensifia soudain, hurlant dans ses oreilles. L'étoffe de sa robe virevolta de plus belle et ses cheveux claquaient contre son visage, mais elle n'y accordait pas la moindre attention. Elle ne pouvait détacher son regard de l'homme devant elle. Le guerrier fronça les sourcils et fit un pas en avant. Elle plissa les yeux, cherchant à comprendre ce qu'il disait, mais la nature déchaînée l'en empêchait et elle pouvait seulement voir ses lèvres bouger sans qu'aucun mot ne lui parvienne. Le ciel s'était couvert et elle pouvait apercevoir désormais des éclairs déchirer les nuages,annonciateurs de l'orage à venir.

     Un bruit assourdissant se fit entendre, et la foudre tomba non loin d'elle, lui déchirant les oreilles. Elle tomba à genoux, se tenant la tête entre ses mains tant la douleur qui venait de s'abattre sur elle était intense. Le bruit, plus strident cette fois-ci, recommença et la foudre tomba à nouveau. Elle resta paralysée par la douleur, à genoux dans la mousse fraîche, ses deux mains trouvant appui sur le sol devant elle. À travers les larmes, elle aperçut le guerrier courir vers elle, mais à nouveau le bruit se fit entendre et la foudre tomba devant lui, le stoppant net dans sa course. Le visage marqué par la peur, il lui semblait qu'il hurlait son prénom – comment pouvait-il le connaître ? se demanda-t-elle durant un bref instant avant que la douleur ne la reprenne – et une dernière fois elle entendit le bruit et la foudre s'abattre avant que les ténèbres ne l'envahissent et que le monde autour d'elle disparaisse dans le néant...

The Highlander's DreamWhere stories live. Discover now