Léo déambulait dans la ville qui lui était inconnue. Pourtant, elle lui rappelait un endroit qu'il lui était si familier. Même l'odeur le troublait. S'il fermait les yeux, il pouvait imaginer la route qui tournerait vers la gauche. Il gravirait la côte qui était si ardue. Il se souvint que lorsqu'il était petit, Léo s'en plaignait constamment et demandait toujours à son frère de le porter sur son dos. Son frère était gentil, il le faisait. La côte une fois franchie, il emprunterait un chemin étroit de terre battue et il l'aurait vue, là, face à lui, la maison de son enfance. Il chérissait tellement cette petite maison de bois, avec ce grand chêne et sa balançoire. Elle était à la fois très rustique et si chaleureuse, cette maison.
Léo ouvrit les yeux. La maison n'était pas là. Des vaches le regardaient étrangement en ruminant. Il fixa les bovins un instant, se mit à les imiter pendant quelques secondes en poussant de grands cris de joie. Très vite, il fut agacé.
Une voiture rouge arriva à tout allure dans sa direction. Par peur que ce soit les hommes en blanc qui revenaient le chercher, Léo se coucha dans le fossé qui séparait la route du champ. La voiture s'arrêta devant lui. De grands éclats de rire et une musique assourdissante en sortirent quand les fenêtres s'abaissèrent.
« Hé ! Qu'est-ce qu'tu fous là-d'dans, toi ? », hurla un jeune homme qui se trouvait sur le siège passager.
Léo sortit de son trou, les hommes s'exclamèrent de plus belle. Il ne répondit rien. Il ne comprenait pas ce qui causait leurs éclats de joie. La voiture était minuscule et paraissait écrasée face au poids de ces jeunes hommes. Ils devaient être cinq ou six, peut-être plus. Léo ne savait pas.
« La fête a commencé, tu viens ou pas ? Demanda le conducteur.
-Quelle fête ? -La fête de la musique, voyons ! Mais d'où tu viens ?
-Il n'y avait pas de fête de la musique chez moi, expliqua simplement Léo. -
Et bah ici, y en a une ! C'est là-bas, au parc, dit-il en montrant la direction du doigt. Y aura plein de musiques et de filles qui dansent, ramène-toi ! »
La voiture démarra et partit dans la direction indiquée. Léo resta quelques secondes immobile et silencieux, les yeux fixés sur le véhicule qui était déjà loin. Dans un hurlement strident, il se mit à sautiller sur place, les pieds joints. Ses mains s'entrechoquaient dans un bruit sourd.
« MUSIQUE ! MUSIQUE ! MUSIQUE ! »
Il partit en grandes enjambées. Ses membres fins paraissaient survoler le bitume. Sa mère l'associait souvent à une fusée tellement Léo courait vite. Ainsi, il avait pris l'habitude d'imiter le bruit explosif du décollage de l'engin. Son buste était penché vers l'avant, sa mâchoire légèrement entrouverte, ses yeux plissés. Il ressemblait à un pantin désarticulé. Ses bras se balançaient vivement sur les côtés, ses pieds partaient vers l'extérieur, mais cela ne dérangeait pas l'adolescent. Son frère avait souvent essayé de le remettre en ordre mais rien n'y faisait. Léo adorait courir, il courrait des heures s'il le pouvait. Il oubliait tout. Il était un autre quand il courait. Il n'était plus Léo, il n'était plus dans ce corps maigre et petit. Il n'avait plus cette impression oppressante d'être invisible. Invisible mais pourtant si observé. Constamment. Sans repos. Jour et nuit.
Léo courait depuis plusieurs minutes. Il hurlait contre la voiture qui était déjà imperceptible à l'œil nu. Il continuait droit devant lui comme l'avait indiqué le conducteur mais il ne trouvait pas la musique.
« Mais où es-tu musique ? », cria-t-il.
Il croisa sur sa route un allogène qui possédait une étrange affiche cartonnée aux couleurs vives. Léo s'en approcha.
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La rose noire
Short Story"La rose noire" est un recueil de nouvelles. Ces nouvelles sont détachées les unes des autres et peuvent se lire dans le désordre. Certaines nouvelles se rejoignent cependant, dont celles qui racontent l'histoire de Léo, un personnage fort attachant...