Lettre d'amour à l'Amour

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Je n'ai fait que de parler d'amour aujourd'hui. Tout comme les trois derniers mois. Tous ces gens me regardent et m'écoutent. Mon lectorat est principalement composé de femmes. Je me présente à elles comme le messie qui les délivrera du mal. Ce mal est, entre autre, les déceptions amoureuses. Après la lecture d'un passage de mon roman, elles me posent des centaines de questions sur l'amour. « Comment faites-vous pour vous remettre d'une rupture ? » « Que faites-vous quand votre partenaire pense à une autre femme ? » « Avez-vous vécu des relations toxiques, des relations passionnelles ? » « Êtes vous mariée ou bien en couple ? » « Avez-vous, vous-même, trouvé le grand amour, l'amour avec un grand A ? » Ces questions sont toutes les mêmes. Au début, j'étais un peu prise de court mais, désormais, j'ai réussi à les anticiper. J'ai un petit carnet dans lequel je note toutes les interrogations et toutes les remarques qui pourraient me laisser sans voix. Il n'y a rien de pire que de laisser des femmes désespérées sans réponse. Elles nous attendent au tournant. Je suis sûre que, avant même de franchir les portes de la librairie, elles ont noté leurs questions dans un coin de leur tête et se les répètent en boucle. Cela ne m'étonnerait même pas qu'elles les aient notées au creux de leur main. Quand je lis, je les observe au dessus de mon roman. Elles sont subjuguées. Certaines pleurent. Quand je termine ma lecture, elles m'applaudissent avec émotion. Au moment de la dédicace, quelques unes viennent à moi et se confient sur la douleur qu'elles ont éprouvée après leur divorce, leur rupture ou la tromperie de leur conjoint. Ces femmes me touchent. Elles m'émeuvent. Et moi ? Je les trompe. Je suis un imposteur.


Il y a trois mois, j'ai publié un roman. Ce roman parle d'amour, mais pas de n'importe quel amour. Il parle du vrai, du seul et de l'unique, de celui qui vous bouleverse et qui change toute une vie. Pour résumer, il parle d'un homme et d'une femme qui tombent éperdument amoureux l'un de l'autre, qui affrontent les difficultés de la vie – une maladie génétique, une ex-femme jalouse folle à lier et des fausses-couches à répétition – mais qui finissent tout de même par vivre heureux et ensemble jusqu'à la fin de leur vie. C'est beau, à dire comme ça. Ça fait rêver, moi la première, mais ça fait surtout rêver toutes ses femmes qui dévorent mon bouquin en quelques heures et qui le referment en pensant à leur couple beaucoup moins parfait que celui présenté dans cette fiction.J'insiste beaucoup sur ce mot, fiction. Ces femmes, elles mélangent tout. Elles croient que cette histoire est ma vie. Souvent, elles me disent, « Vous aussi, vous avez trouvé votre Marc ? ». Au début, j'allais dire la vérité. Je le voulais, j'en avais l'intention. J'allais dire « Ah non, moi je suis célibataire ». Cela aussi serait mentir. Je suis plus qu'une célibataire. Je suis une célibataire endurcie qui n'a jamais été en couple, voilà la triste réalité de l'histoire. Je suis une écrivaine qui parle d'amour sans jamais ne l'avoir connu, sans jamais en avoir ressenti le moindre sentiment, le moindre frétillement. Bien sûr, je n'allais pas dire tout cela. Je voulais me contenter du stricte minimum, mais ma maison d'édition en a décidé autrement. Mon attaché de presse trouvait cela étrange que je parle d'amour alors que moi-même je ne vivais aucune relation amoureuse. « Il faut faire perdurer le mythe », avait-il dit. Alors, j'ai menti. A nous deux, on a monté tout un stratagème. « Mais bien sûr que je suis en couple... Oh cela doit bien faire cinq ans que nous sommes ensemble... Oh oui, le bonheur parfait.... Le mariage ? Bien sûr qu'on y pense. Je dois d'ailleurs vous avouer que j'ai trouvé une bague de fiançailles dans le tiroir à chaussettes, hihi. » Voilà où j'en suis, à mentir sur ma vie sentimentale. En réalité, mon quotidien est tout autre. Je travaille dans un petit café-librairie à Paris. Il est plutôt sympa. La plupart des clients sont des bobos parisiens ou des étudiants qui passent leur temps sur leur MacBook dernier cri en buvant un mug immense de café et en dégustant une pâtisserie. Je dois dire qu'elles sont sacrément bonnes, ces petites sucreries. Quand il n'y pas trop de monde, j'ai le temps de bouquiner un livre de la section librairie, cachée dernière ma caisse enregistreuse. Parfois, quand je suis en mon bon jour, j'arrive à noter sur mon carnet quelques idées d'intrigue. C'est dans ce café qu'est né Amour Inconditionnel. Je me rappelle du déclic que j'avais eu. Cela faisait plusieurs mois que j'avais ce qu'on appelle le syndrome de la page blanche. Après la publication de mon premier roman qui ne s'était pas vendu, qui avait fait un flop, j'étais en panne d'inspiration. Tout me paraissait nul, morose, sans goût. Je voulais écrire de grandes choses. Je voulais faire rêver des lecteurs comme les grands écrivains qui m'avaient bercée de rêves. J'étais née pour l'écriture, je le savais. Ma maison d'édition avait su percer mon talent à jour. Si mon premier roman n'avait pas marché, c'était parce que le sujet choisi – une histoire de fin du monde un peu « bancale », selon les critiques – ne m'était pas adapté. C'est lors d'un jour pluvieux que l'idée m'est venue. Le temps était orageux, le ciel noir. Il n'y avait pas grand monde dans le café. Quelques clients avaient pris possession des tables. Un habité, un homme d'une trentaine d'années, s'était assis à côté du grand cactus et lisait un bouquin, comme à chaque fois. Il vient souvent, deux-trois fois par semaine. On discute à chacune de ses visites. Il a un curieux accent écossais. On parle des livres qu'il lit et que je lis. Il sait que j'écris, il m'avait surprise en train de griffonner quelques idées sur mon carnet orange. C'était à l'époque où je n'arrivais à ne plus rien écrire, où l'idée de n'avoir aucune inspiration me désespérait. Il m'avait dit « Ne vous inquiétez pas, ça va venir. Prenez votre temps, ne vous obligez à rien. Vous l'aurez, votre déclic ». Ce jour-là, le jour où l'inspiration m'avait frappée, j'observais les rues parisiennes à travers la baie vitrée. La pluie avait commencé à tomber avant d'évoluer en une véritable averse. Il pleuvait si fort que l'eau rebondissait sur le bitume. Les gens commençaient à courir. L'homme avait posé son livre, s'était levé et m'avait rejoint à la baie vitrée. Tous les deux, on regardait le rideau de pluie tomber devant nous sans ne dire un mot. Un couple avait débarqué dans mon champ de vision. L'homme et la femme couraient, main dans la main, en se protégeant la tête d'un sac et d'un journal. Ils affichaient tous les deux un sourire radieux. Ils riaient. C'est là que l'idée m'est venue, comme ça, d'un coup. Deux étrangers, surpris par une redoutable averse, courent pour rejoindre le métro le plus proche ou pour rentrer chez soi et, bim, ils se percutent. Ils lèvent les yeux l'un vers l'autre, le coup de foudre. Je sais, ça fait un peu niais, mais ça marche. J'avais crié « Je l'ai ! ». L'homme à côté de moi avait sursauté et je m'étais précipitée derrière ma caisse et avait écrit jusqu'à ce que le café ferme, et toute la soirée ensuite, et une partie de la nuit à la maison. Je l'avais mon sujet ! L'inspiration m'était venue, m'avait frappée, m'avait percutée. Ça y est, je tenais mon prochain bouquin. Depuis ce jour, s'en sont suivis quatre mois d'écriture quotidienne, trois mois de réécriture et des semaines d'impression. Aujourd'hui, cela fait trois mois que je fais la promotion de mon roman et que je parle de ma création, tous les samedis après-midis devant des femmes passionnées par l'amour.

La rose noireWhere stories live. Discover now