Kevin avait toujours pris son rôle de père au sérieux. Quand son fils aîné était venu au monde, il avait arrêté les conneries. Il n'avait pas su les arrêter pour sa femme mais il l'avait su pour son fils. Kevin était un bon père. Il était attentionné, drôle et toujours disponible. Il était l'un de ces pères qui emmenait son fils jouer au foot le dimanche ou après l'école dans le parc. Il était l'un de ces pères qui se marrait avec son fils comme s'ils étaient copains. Kevin était l'un de ces pères qui avait toujours rêvé d'avoir un fils. Il l'avait eu, son fils, et il décrocherait la lune pour le rendre heureux.
Quand sa femme, Mélanie, lui apprit qu'elle était enceinte pour la seconde fois, Kevin était tombé des nues. Aussi bien elle que lui ne s'attendait pas à cette nouvelle. Ils n'avaient jamais parlé d'avoir un deuxième enfant. Hugo leur suffisait amplement, l'enfant réclamait beaucoup d'attention à seulement trois ans. Quoiqu'il en fût, le deuxième était en route, il fallait pour les deux parents de solidifier leur situation. Le travail de Kevin au marché ne lui rapportait pas grand chose et Mélanie, secrétaire dans un cabinet dentaire, touchait le SMIC. A la fin du mois, ils peinaient déjà à joindre les deux bouts, avec un deuxième enfant en charge, ce serait deux fois plus compliqué.
Une petite fille était née. Ils l'appelèrent Anissa, comme la grand-mère de Mélanie. C'était un sage bébé. Elle ne pleurait jamais et était parvenue à faire vite ses nuits. Elle n'était pas dérangeante. A vrai dire, elle l'était si peu, qu'il arrivait à ses parents de l'oublier. Mélanie oubliait de lui changer sa couche, Kevin de la sortir de son berceau à l'heure du repas. Seul Hugo semblait se soucier d'elle. Il ne l'oubliait jamais, si bien qu'il devint son protecteur ou, plutôt, son baby-sitter.
Lorsque Hugo et Anissa eurent sept et dix ans, Mélanie perdit son travail. A leur âge, ils ne comprenaient pas très bien ce qu'il en était. Ils savaient juste que c'était grave car leur père et leur mère ne faisaient que de se disputer et Mélanie restait tout le temps à la maison, même quand eux étaient à l'école. Elle était là quand ils partaient le matin, elle était toujours là quand ils revenaient le soir. Par contre, leur père, lui, ils le voyaient de moins en moins. Ils faisaient des marchés tous les jours, même le week-end, et il avait en plus trouvé un travail de livreur. Il conduisait un énorme camion. Hugo trouvait ça cool, alors Kevin l'avait pris avec lui, un après-midi. Il s'était amusé comme un fou, à bidouiller tous les boutons du tableau de bord et à être maître de l'autoradio. Kevin leur manquait, à Hugo et à Anissa, ainsi que les sorties dans le parc. Leurs moments préférés étaient les quelques heures passées au square, après l'école. Ils goûtaient tous ensemble sur un banc ou assis dans l'herbe et, soit ils faisaient une partie de foot, soit ils jouaient aux jeux pour enfants. Ils – oui, Kevin aussi – aimaient faire du toboggan, de la balançoire et toute sorte de jeux à bascules. Ces quelques heures étaient importantes, pour eux trois. Anissa oubliait qu'il était dur pour elle de se faire des amis à l'école, Hugo faisait l'impasse sur ses mauvaises notes et les mots des professeurs dans son carnet de correspondance et Kevin se rappelait ce que c'était, que d'être un enfant, avant que les problèmes d'argent ne vinssent le ramener à la réalité.
Les problèmes d'argent survinrent peu après le licenciement de Mélanie. Bien que les enfants ne surent pas très bien ce qu'ils impliquaient, ils aperçurent des changements qui s'opéraient au sein du foyer familial. D'abord, le nouvel emploi de Kevin lui prenait tout son temps et l'obligeait à rentrer à des heures parfois tardives. Puis, l'arrêt soudain d'achat de marques alimentaires et des céréales préférées de Hugo. Ensuite, l'appréhension de Mélanie avant d'ouvrir la boîte aux lettres et cette inquiétude qu'elle avait toujours sur son visage lorsqu'elle ramenait des enveloppes tamponnées de l'insigne rouge « DERNIÈRE RELANCE ». Hugo et Anissa n'en parlaient pas entre eux, de ces problèmes. Hugo jugeait qu'Anissa était trop jeune et ne comprendrait pas. Lui se considérait comme un grand et bien qu'il ne connaissait pas la raison des tourments de ses parents, il savait que quelque chose allait mal. Au moment où il trouvait que la situation était la plus critique et où il pensait que Kevin et Mélanie allaient divorcer comme les parents de Lucas, une accalmie était apparue. Un soir, Kevin était rentré à la maison avec un bouquet de fleurs. Mélanie était toujours triste mais elle avait souri. Kevin l'avait prise dans ses bras, il l'avait embrassée et avait murmuré tout bas « Ça va aller, ne t'inquiète pas, ça va aller ». C'était à partir de ce soir-là qu'ils avaient recommencé à faire des trucs de grands. Ils sortaient le soir et Hugo et Anissa restaient seuls à la maison. Les enveloppes au tampon rouge se faisaient de plus en plus rares, leurs parents retrouvaient un peu plus de leur joie de vivre et la bonne humeur était de nouveau présente.
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La rose noire
Short Story"La rose noire" est un recueil de nouvelles. Ces nouvelles sont détachées les unes des autres et peuvent se lire dans le désordre. Certaines nouvelles se rejoignent cependant, dont celles qui racontent l'histoire de Léo, un personnage fort attachant...