Prologue - "Une porte se ferme" (partie 1)

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Londres, quartier de Mayfair – décennie 1860

Avant, bien avant qu'il ne soit un voyageur émérite de son monde et un fin négociateur auprès de créatures immortelles et terriblement dangereuses des contrées rhénanes, Oliver Whiteman fut un jeune adolescent tout à fait normal et policé comme l'entendait à l'époque la bienséance britannique. Passé au moule de l'étiquette et de la raideur nobiliaire, le jeune garçon se tenait là, assis bien droit, à son bureau dans la maison londonienne des Whiteman.

Ses yeux vairons, l'un bleu nuit hérité de son père, l'autre noir comme un corbeau reçu de sa mère, fixaient un tas conséquent de papiers et d'enveloppes posés là.

Il repoussa un peu nerveusement ses cheveux d'ébène qui s'échappaient toujours de sa coiffure peignée en arrière. Son visage ainsi dégagé paraissait encore juvénile. Voilà quelques mois à peine qu'il avait fêté ses 16 ans, et son père avait décidé qu'il était temps pour lui de prendre des responsabilités dans les affaires de la famille. De faire un pas dans le grand monde.

Il poussa un petit soupir agacé, repoussa de nouveau la mèche rebelle qui revenait à la charge, tapota des doigts sur le bureau en lisant et relisant une missive à propos de travaux pour la mise en œuvre de voies de chemin de fer en Inde. Il tira une carte du pays, posée en vrac un peu plus loin, sembla y chercher une région, sans succès. De dépit, il repoussa le tout plus loin sur le bureau, et tout le papier ainsi agglutiné se froissa contre les livres posés au bout du meuble sans qu'il ne s'en inquiète.

Quelle plaie. Bien entendu, il n'aurait jamais dit cela ainsi à voix haute, mais ces deux mots exprimaient parfaitement son état d'esprit de l'instant. À quoi bon... il n'était sans doute pas fait pour les affaires. Et quelle honte ! Ne pas comprendre de quels lieux on lui parle en Inde, alors que sa mère, Lady Aryana Whiteman, en était originaire. Son sang était à moitié indien. Manifestement, son esprit était en revanche bien britannique. Cette étroitesse l'ennuyait.

Oliver se résigna à tirer de nouveau les papiers à lui, sachant très bien qu'il ne pouvait repousser l'échéance éternellement. Peut-être sa mère rentrerait-elle bientôt de cette réception mondaine où l'avait entraînée Lord Whiteman ? Elle devait au moins avoir une idée d'où chercher sur cette immense carte...

Alors qu'il se saisissait de sa plume pour griffonner quelques notes sur un papier à part, quelqu'un frappa à la porte. Il souleva l'extrémité métallique de son outil, regarda vers la porte en face de lui, à quelques pas de là, intrigué.

- Entrez, fit-il alors qu'il reprenait ses esprits. 

La poignée tourna un peu laborieusement et la porte s'ouvrit. Alors qu'il fixait un point à hauteur d'adulte en s'attendant à y voir le visage de son visiteur impromptu, il fut pris de court en se rendant compte que ledit visage parvenait juste à la hauteur de la clenche.

La porte à peine entrouverte laissa passer la face ronde et enfantine d'une petite fille à la peau caramel et aux longs cheveux noirs bouclés attachés négligemment. Elle fixa sur lui l'unique œil qui dépassait par l'ouverture, curieux, hésitant, alors qu'elle tenait toujours la poignée dans sa main, comme si elle s'y agrippait pour rester en équilibre. Calée sous son bras, une poupée qui lui était semblable.

- Tu joues avec moi, grand frère ?

Sa voix fluette avait retentit, adorable, et Oliver adressa un sourire attendri à sa petite sœur. Il reposa son porte plume, se releva de son fauteuil capitonné de velours vert, et contourna le bureau pour la rejoindre à la porte. Il ouvrit plus grand et lui tendit la main pour qu'elle y glisse la sienne, ce qu'elle fit sans hésiter.

Les Portes d'Ys - OriginesWhere stories live. Discover now