Il y avait peu de demeure plus somptueuse que la résidence citadine de la famille Hope, en plein coeur de Londres. À côté d'elle, la maison des Whiteman faisait assurément figure de petite bicoque, certes coquette, mais étroite.
Ce soir de février, alors que le froid se faisait encore plus mordant dehors que jusqu'alors dans cet interminable hiver, une réception faisait étinceler cristal et lustres comme à l'intérieur d'une gemme taillée à la perfection. La salle où les convives devisaient, buvaient, mangeaient et dansaient, parés de leurs plus beaux effets, n'avait pas grand-chose à envier à des palais plus anciens et plus prestigieux encore. Il se disait d'ailleurs parmi l'aristocratie et le gratin de la plus haute bourgeoisie qu'il y avait autant d'étoiles chez les Hope que dans le firmament par une nuit au ciel dégagé.
C'était au milieu des froufrous et des rires polis en réponse à des répliques à l'humour parfois un peu discutable – du moins quand le champagne s'en mêlait un peu trop – qu'Oliver vaquait de conversation en conversation.
Il avait arboré, spécialement pour l'occasion, son plus beau costume de soirée. Un pantalon noir, sobre, repassé à la perfection, une chemise d'une blancheur à faire pâlir les anges de la création, surmontée d'un gilet de satin et de velours amarante, où s'épanouissaient de discrets motifs floraux en arabesques, rehaussés par l'éclat de ses boutons dorés. Par-dessus, une veste coupée au millimètre et, à la poche, la chaîne d'une montre à gousset en or. Il avait troqué depuis peu le nœud en ruban fin qui le faisait paraître un peu trop jeune contre une lavallière au tissu délicat. Il s'aperçut rapidement dans un des nombreux miroirs de la grande pièce, et songea qu'il ressemblait chaque jour un peu plus à son père, dans l'allure, avec son corps qui avait subi une nouvelle poussée de croissance peu après ses 17 ans. Il se retint de grimacer, mais il le fit au moins par la pensée. Cette perspective ne l'enchantait guère.
- Monsieur Whiteman, quel plaisir de vous voir parmi nous !
- Ah, Lord Allister, cela faisait longtemps, répondit Oliver avec un sourire très poli à son interlocuteur, un homme d'une soixantaine d'années qui arborait une barbe grisonnante fournie et un physique débonnaire. Laissez-moi réfléchir... oui, au Crystal Palace, il y a trois années de cela, lors de cette exposition exceptionnelle pour l'arrivée de nouvelles plantes exotiques.
- La jeunesse et sa mémoire aiguisée, s'amusa le concerné. Je suis agréablement surpris de constater que vous répondez un peu plus présent aux invitations de nos pairs. Adam Hope a certainement su vous tenter avec sa vente aux enchères exceptionnelle.
- Si la famille Whiteman peut aider à financer quelques œuvres de charité en acquérant un des objets soumis aux offres des invités ce soir, alors c'est toujours avec un grand plaisir.
- La générosité de votre père est déjà de large renommée. N'est-il pas présent ce soir ?
- Hélas, il n'a pas pu venir, des affaires urgentes l'ont retenu... Il devait être de retour dans notre bonne vieille Angleterre il y a une semaine de cela, mais des impondérables se sont imposés à lui en Inde.
- Quel dommage, rien de grave j'espère ?
- Rien d'insurmontable pour lui, assura Oliver avec un nouveau sourire parfaitement lisse et transpirant la cordialité.
- Au moins, cela nous laisse à tous la possibilité d'apprécier votre agréable compagnie. J'espère que vous saurez profiter des festivités comme nous tous.
- Je n'y manquerai pas, croyez-moi.
- Ah, mais j'y pense ! Ne bougez pas, jeune homme, je vais aller chercher ma petite nièce pour vous la présenter !
YOU ARE READING
Les Portes d'Ys - Origines
ParanormalDécennie 1860, Angleterre. Oliver est un jeune fils de Lord sous le règne de la reine Victoria. Sa vie semble toute tracée : il succédera à son père à la tête des affaires de chemins de fer, entre Grande Bretagne et Inde. Mais un événement tragique...