Je me tenais debout dans la pénombre froide et glaçante. Le froid commençait à s'infiltrer sournoisement entre les couches de mes vêtements. Mes yeux restaient fixés sur la parfaite rondeur de la lune qui s'élevait au-dessus des arbres. Le ciel noir était dépourvu de nuages.
Des marmonnements agacés me ramenèrent à la réalité et me coupaient de ce moment de beauté obscure. Je me retournai et vis mon ami Alban les pieds empêtrés dans des ronces et des feuilles de châtaigner dans les yeux.
« Sérieusement, dans quel pétrin tu nous as fourré une nouvelle fois ? » marmonna-t-il en maugréant. Je ne pris pas la peine de lui répondre, il connaissait déjà la réponse. Je ne m'embarrasse pas de mots inutiles. J'attendis quelques minutes que mon ami se débarrasse des végétaux épineux et je jetai mon sac négligemment sur mon dos. Je repris ma route, la lune éclairant nos pas. Le bruit des voitures s'atténuait au loin, et nous nous retrouvâmes très vite plongés dans un silence pesant. Le seul bruit qui parvenait à mes oreilles était celui de nos chaussures dans les feuilles mortes et le hululement des oiseaux nocturnes. Ce calme angoissant me permit de me replonger dans mes pensées, quelques jours auparavant, et de visualiser comment je m'étais retrouvé ici.
C'était il y a deux semaines, l'automne venait d'arriver et nous grelotions déjà dans nos manteaux trop légers pour la saison. La sonnerie de midi avait retenti et nous étions retrouvés sous un arbre pour discuter. Je ne me souvenais pas comment le groupe de Chris s'était joint à nous. Il était arrivé, avec son air de conquérant, comme si tout lui appartenait. Il avait avec lui deux ou trois filles, dont une que j'avais remarqué deux ou trois fois au détour d'un couloir. J'avais été surpris par sa délicatesse, son calme et ses yeux rieurs. On aurait dit qu'elle n'attendait de la vie que des merveilles, comme si elle ne l'avait jamais déçue. Je ne connaissais pas son nom, je ne savais rien d'elle, mais sa façon de vivre m'intriguait.
Je ne sais plus comment Chris est arrivé à nous mettre au défi d'aller dans les bois d'Helver en pleine nuit. Ma fierté d'adolescent et ma volonté de parader m'ont conduit à accepter. Il a rajouté en souriant qu'il fallait aussi passer une nuit dans le manoir Helver. Je me souviens parfaitement du visage décomposé d'Alban à cet instant. La face livide, il m'avait lancé un regard inquiet. Je l'avais embarqué dans cette affaire avec pour seul objectif de pavaner devant une fille dont je ne savais rien et qui ne savait même pas que j'existais. Je n'avais pas osé dire cela à mon ami ; on fait beaucoup de choses stupides à dix-sept ans.
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Le Manoir Helver
Short StoryJusqu'où iraient deux adolescents pour impressionner une fille? Jusque dans les profondeurs des bois Helver... Même si les bois sont sombres, même si des cris anormaux se font entendre, il est trop tard pour faire demi-tour.