Le manoir

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Puis, sans prévenir, Alban s'arrêta net devant moi. Je faillis lui foncer dessus.

« T'es fou ? Bouge ! dis-je en soufflant difficilement.

-Ecoute. »

Le silence accueillit ses mots. Je grelotais, la sueur froide me colle à la peau. J'avalais à grandes goulées l'air glacé. Nous reprîmes notre souffle avec difficulté. Le dos cassé en deux, les mains sur les genoux, ma poitrine se soulevait par saccades. De nombreuses minutes furent nécessaires pour reprendre notre respiration. Sans un mot, nous échangeâmes un regard inquiet. Nous ne savions pas quoi faire. Je l'approchai de mon ami, sans un bruit :

« On fait quoi ? On rentre ? chuchotai-je.

-On ne peut pas. Même si on le voulait, cette chose est toujours là quelque part. Elle nous rattrapera avant qu'on quitte les bois.

-Je ne sais même pas où nous sommes. J'ai perdu tous mes repères après cette course effrénée.

-Hum, je crois que nous ne sommes plus très loin du manoir des Helver. On devrait y aller, passer la nuit et s'enfermer dans une salle.

-Tu as peut-être raison... Tu as un couteau ?

-Non. Et toi ? me demanda-t-il.

-Je crois que j'ai mon couteau suisse. Tu devrais boire, on ne sait jamais, si on doit courir de nouveau.

Je me penchais dans mon sac, but quelques gorgés d'eau et me mis à chercher mon couteau. Je m'en saisis, serrant le manche avec force.

-Tu nous guides ? dis-je. Je ne sais absolument pas où il faut qu'on aille.

-Suis-moi. »

Je m'engageai à sa suite, les jambes encore tremblantes. A ma grande surprise et mon soulagement, Alban arriva à nous amener jusqu'au manoir. En voyant la façade grinçante, j'hésitai à le suivre à l'intérieur. La bâtisse devait probablement dater du XIXème. Il y avait deux étages, un balcon sur la devanture était à moitié effondré. Un vent glacial se leva, faisant claquer doucement les fenêtres béantes. Je jetai un regard inquiet à mon ami. Rien de rassurant ne se dégageait du manoir. Alan posa un pied sur la première marche du perron, se retourna vers moi, et me poussa à la suivre :

« Dépêche-toi. Cette chose est peut-être toujours quelque part... Il faut qu'on se mette à l'abri. On ne peut pas passer le reste de la nuit à l'extérieur. »

Presque à contrecœur, je m'engageai à sa suite. Il poussa la porte, je me dis que c'était un miracle qu'elle tienne encore debout. Nous refermâmes le battant derrière nous. A peine une fois enfermés dans l'édifice, un bruit sourd nous parvint de l'extérieur. Nous tremblions. Je repérai un chandelier en métal argenté. Je m'en saisis et l'utilisai pour bloquer la porte d'entrée de façon plus ou moins fructueuse.

Alban me fit signe de le suivre, et je m'engageai dans ses pas. Nous nous éloignâmes le plus vite possible de cette porte qui n'allait pas résister longtemps si une bête fonçait dessus.

Le manoir était plongé dans l'obscurité mais nous avions pensé à apporter avec nous des lampes torches. Nous en prîmes une chacun et je dirigeai le faisceau lumineux en arc de cercle pour avoir une vue d'ensemble sur la pièce où nous nous trouvions. Nous étions rentrés dans ce qui devait visiblement servir de salon au vu du lustre majestueux, mais malheureusement bien abîmé, encore accroché au plafond. Une table en bois sombre longue d'au moins cinq mètres se tenait au beau milieu du salon. Des chaises qui devaient être autrefois finement ouvragées étaient éparpillées, certaines en bon état, d'autres complètement brisées. Le sol était jonché de débris en tous genres. Je faisais attention en posant mes pieds, évitant de me blesser entre les bouts de bois et les tessons de verre.

Nous continuâmes notre route vers le fond de la salle qui donnait sur une plus petite salle. Elle devait servir de petit salon de réception. Encore une pièce plus loin, nous découvrîmes ce qui ressemblait à une salle d'armes. Un silence dévorant régnait et nous tremblions de peur. Je découvris, accroché sur un mur, des armes restantes. D'un geste, je les pointais du doigt à mon compagnon. Il acquiesça et s'approchant du pan du mur qui arborait encore quelques moyens de défense. Il décrocha avec souplesse une épée. Bien que les bords fussent émoussés, elle pouvait encore être utile et servir. A mon tour, je portai mon regard sur un arc et des flèches. L'arme parfaite pour moi. Je faisais partie du club d'archers de ma région et j'étais plutôt doué. Les matériels étaient ancestraux, mais le bois avait gardé de sa rigidité et de sa force. Je tendis la corde, elle ne se cassa pas. Bonne nouvelle.

Soudain, un rugissement hargneux retentit. Mon cœur rata un battement, affolé, je regardai Alban. Son visage avait perdu tout son sang et il était plus mort que vivant. D'un coup sec j'arrachai le carquois et le balançai sur mon dos. Nous repartîmes, la mort aux trousses. Nos pas étaient rapides et désespérés mais nous voulions rester discrets. Rapidement nous nous dirigeâmes vers les autres pièces du manoir, dans l'espoir de trouver une cachette. La nuit semblait s'éterniser. Dans le couloir, une odeur fétide nous prit les narines. Je passai une manche sur mon nez pour tenter de mieux respirer, sans un réel succès. Alban me suivait de près. Nos genoux tremblaient mais nous ne voulions pour rien au monde nous arrêter. Une porte grinça. Des pas lourds firent grincer le parquet. Je me retournai vers mon ami et vis derrière lui des yeux luisants dans la noirceur du couloir. Je criai. Nous courûmes. La chose se rapprochait de nous. J'essayais de ne pas trébucher sur les débris. Mon ami tomba. J'entendis un bruit sourd. Je me tournai à temps pour voir la chose l'emporter dans une pièce. Ses cris résonnaient dans tout le manoir. Il n'y avait que moi pour l'entendre. Je suivis les hurlements d'Alban pour arriver dans ce qui devait être la salle de réception. Un rayon de lune pâle éclairait la scène. La bête était penchée au-dessus de lui, dos à moi. J'armai une flèche, faisant le moins de bruit possible. Elle ne m'avait pas vue. Je décochai. A l'instant où ma flèche s'enfonça dans sa cible, un long cri s'éleva dans les airs. A ce même moment des lumières s'allumèrent et un « Joyeux anniversaire, surprise ! » résonna.

Le Manoir HelverWhere stories live. Discover now