NingirSecurity

Câbles

— Ils arrivent.

Et effectivement, je repère le hors bord qui fend l'eau grise et plate, même couleur de plomb que le ciel d'un orage qui se prépare.

Hobbs sort le premier, il laisse sa veste sur le siège. La touche gouvernementale de moins. Si ce n'est le flingue dans son holster de ceinture, il aurait l'air d'un témoin de Jéhovah.

La plage est étonnamment vide, les juillettistes ont peur de l'orage. Il fait chaud. La cagoule me colle immédiatement à la peau quand je l'abaisse. Un groupe de promeneurs nous lance un regard effaré. Hobbs s'en fout. Il lance l'ordre.

— On y va.

Et on s'élance, pas de course régulier, même Hobbs avec son pantalon de costard. Il a sorti son flingue, le tient n'importe comment. Je garde une distance de sûreté, et je remarque que Jeff fait pareil. On échange un regard. Haussement de sourcils blasé derrière sa cagoule.

Le bateau a presque atteint la côte, et on traverse la plage en courant, avec nos pare—balles et nos MP5K. Quelque part, un gamin crie, plus ravi qu'effrayé. Du coin de l'œil je vois une famille qui nous filme tous portables dehors.

— On va être des stars de YouTube, je dis à Jeff.

— Putain, tu m'étonnes.

Des éclats de voix sur le hors bord. Deux silhouettes en combi sont descendues pour tirer le bateau jusqu'au sable. Ils pointent notre direction. On est à une dizaine de mètres quand ils commencent à débarquer des sacs de matériel. Hobbs hurle :

— Agents fédéraux !

Un type en face enlève la capuche de sa combi. Un quinqua au crâne rasé, calme.

— Journalistes. Il répond en articulant, fort. Nous sommes journalistes.

Hobbs braque un autre mec en train de récupérer un sac à dos dans le bateau, lui crie :

— Lâche ça ! Lâche. ça !

On aligne les autres, pour la forme, puisqu'on est là pour ça. On avance sur eux en cercle et ils attendent les mains levées. Dociles. Le crâne rasé proteste poliment.

— Nous sommes journalistes, ma carte de presse est dans ce sac, et nous n'avons enfreint aucun périmètre restreint. Vous...

— Ta gueule, à genoux.

Hobbs entreprend de lui passer des menottes en zip plastique. J'approche d'une femme en baggy, cheveux mouillés, qui tient toujours son portable, les mains levées. Je lui dis doucement :

— Mauvaise idée.

Elle me tend l'appareil, yeux rivés dans les miens.

— La liberté de la presse, le premier amendement, tout ça, ça vous parle ? C'est une putain de station balnéaire, on peut aller en mer comme on veut, non ?

Je coupe le streaming vidéo live. Efface aussi l'enregistrement.

— C'est pas à moi qu'il faut dire ça.

Hobbs a entendu. Des oreilles partout.

— Et les installations vitales pour la sécurité nationale, ça vous parle ?

Elle ne répond pas, soutient son regard noir. Il se détourne le premier.

Je fais défiler les photos du portable. Un long câble sombre sur un fond marin, couvert de concrétions. Un boîtier massif, d'aspect blindé, interrompt son parcours. Un deuxième câble en émerge, qui bifurque dans une autre direction.