Sunflowers Sisters [Tome 3]

III.

Point de vue de Laurena :

Le salon de l'appartement d'Hannah s'est transformé en quartier général dans lequel on épluche le moindre indice qu'on peut trouver. Quelques fois, il s'agit d'articles de journaux relatant des disparitions étranges, d'autres sont de simples photos qu'on trouve sur des sites internet. Ce qui fait que nous passons le plus clair de notre temps libre ici, dans l'espoir de trouver une trace de Mobius. Sauf dans certains cas, où nous ressentons le besoin de mettre tout ça de côté pour discuter un peu. C'est important d'évacuer ce qu'on a dans la tête, surtout que nous sommes des survivantes du STEM. Ce que nous y avons vu est gravé à jamais dans notre mémoire.

Il m'arrive de faire des cauchemars la nuit, comme Hannah sans doute. J'y revois Reborn Laura qui hurle, ou encore Leslie qui tape des pieds alors que le sang de Jimenez se répand sur le sol. C'est difficile de mettre des mots sur ce que je ressens dans ces cas là, car dans mes cauchemars c'est moi le monstre le plus souvent. J'ai été faible et Ruvik a pu me manipuler à sa guise afin que je devienne un parfait petit assassin. Le médecin méritait ce sort, mais ce que j'étais prête à faire à Juli ou à Sebastian n'était rien d'autre qu'un acte ignoble et infondé. J'en voulais à la terre entière à cette époque. J'étais en colère qu'on nous ait laissé pourrir à Beacon, nous étions invisibles aux yeux de la société. En Sebastian j'ai vu l'incarnation de la justice qui n'a rien fait pour les malades, je voulais qu'il paie uniquement car il portait une plaque d'inspecteur. Pour Juli, c'était différent. Elle voulait abattre Leslie pour empêcher Ruvik de revenir dans le monde réel. Bêtement et sans doute naïvement, je pensais qu'il y avait une autre solution et que par conséquent la fausse inspectrice devait mourir pour que je puisse sauver Leslie. Maintenant je me rend bien compte qu'elle avait la bonne solution depuis le début. Mon ami aurait dû mourir au lieu de devenir le pantin de ce taré de scientifique qui n'a plus rien de Ruben Victoriano.

Désormais, et par ma faute, Ruvik traîne quelque part, sans doute dans un sous-sol immonde en train de torturer des innocents. Nous devons le retrouver. Certes, le tuer serait plus simple, il n'a sûrement plus ses pouvoirs dans le monde réel. Mais nous avons l'espoir qu'il redevienne lui-même et qu'il rende son corps à Leslie. Hannah veut retrouver Ruben et moi je veux récupérer Leslie, par chance les deux personnes sont quelque part dans la tête de Ruvik. Il ne va pas être simple à convaincre, mais avec un peu de patience, et d'huile de coude, tout est possible.

Hannah est assise en tailleur autour de journaux éparpillés au sol. Depuis quelques mois, des disparitions restent inexpliqués à Krimson. Quelques fois ce sont des marginaux qui restent introuvables, mais il y a aussi des enfants et des couples qui se sont comme envolés. On ne sait pas sur qui tablé. Ruvik qui vole des cobayes ou Mobius qui fait du nettoyage ?

- Nous devrions aller questionner le voisinage. Des personnes ont peut-être vu des choses.

Hannah me lance un coup d'oeil distrait tandis que je dépose une tasse de café fumant devant elle. L'inspectrice dispose des pastilles rouges sur une carte de la ville pour signaler les lieux de disparitions mais il n'y a rien qui se recoupe. On déplore la disparition d'un prêtre dans une église, mais aussi un enfant enlevé dans un lotissement de pavillons tranquilles, ou encore une infirmière qui était en train de travailler. Rien ne colle entre toutes ces personnes, ils n'ont rien en commun. Mais il y a sans doute des gens qui ont vu ou entendu quelque chose, on doit creuser le plus de piste possible.

- Va dormir un peu, Hannah. On s'est entraîné toute la journée, il faut que tu te repose.

A la simple énonciation du mot dormir, Hannah lâche un bâillement qui démontre bel et bien son état de fatigue. Elle hoche la tête de bas en haut avant d'attraper entre ses doigts la anse de la tasse. L'inspectrice m'offre un demi sourire puis disparaît rejoindre sa chambre en traînant des pieds. Ces trois années n'ont été faciles pour personne, et surtout pas pour Hannah qui doit vivre avec le souvenir de la perte de Piers qui s'accumule à la disparition de Ruben. Vivement que tout ça se termine.

- Fait chier !

Dans un excès de rage, je balaie les journaux qui sont au sol avant de m'asseoir sur le bord du canapé. Il n'y a rien qui nous mène à Mobius ou à Ruvik. J'ai l'impression que l'entraînement et toutes ces nuits sans sommeil n'ont servit à rien. Trois ans, c'est le nombre d'années qui nous séparent du STEM mais j'ai toujours la sensation qu'il est quelque part en moi, comme gravé dans ma chaire, comme cette cicatrice de brûlure qui me rappelle sans cesse ce que j'ai perdu. Leslie, mes amis de l'asile, mais aussi mes parents qui m'ont trahis, puis le manque de contrôle sur Laura, tout ça me fatigue. Parfois je voudrais fermer les yeux et ne jamais les rouvrir.

- La douleur change les gens, Laurena.

La petite voix de Laura résonne en écho dans mon crâne et je ferme les yeux avec l'espoir que demain soit meilleur.