Les eaux glacées

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Le mercure affichait les 40° Celsius dans ce qui était la plus longue période caniculaire depuis des décennies. La chaleur, qui engourdissait de sommeil des corps qui ne demandaient qu'à se dénuder, peinait à plier bagage et s'était installée depuis deux semaines déjà. Elle marquait l'union des mois de juillet et août qui s'établissait dans la plénitude de vacances d'été entamées déjà de moitié. La peau des Hommes arborait des zébrures exotiques aux couleurs se déployant du bronze à l'écarlate, manifestation de la diversité physique dont était pourvue l'espèce humaine. Sur ces peaux tannées par l'acide soleil d'été, coulait une sueur qui s'octroyait le droit de danser sur ces corps en surchauffe afin d'y déposer une marque éphémère, bientôt effacée par le jet labourant d'une douche ou encore les mouvements de brasse approximatifs d'une baignade.

Près de la piscine à l'eau turquoise, qui ne devait sa couleur qu'à l'hideux carrelage qui tapissait le fond du bassin, se languissait, sur une chaise longue, un Eliot prêt à succomber au besoin irrésistible d'une sieste estivale. Près de lui, le magicien avait charmé une feuille de palmier d'un mouvement perpétuel afin de s'offrir le luxe d'une brise légère lui effleurant le profil. Eliot ne portait que pour simple apparat, un mini short de bain grenat décoré de fine rayures blanches et surmonté d'un galon immaculé ceignant sa taille. Pour s'assortir à sa tenue légère, un chapeau sous lequel il pouvait profiter de la quiétude de l'ombre pour reposer ses paupières, dissimulait de moitié son visage. Mais plutôt que de s'offrir une sieste sous ce chapeau, Eliot laissait courir son regard sur les corps qui se jetaient avec avidité dans les eaux fraîches de la piscine, son voyeurisme dissimulé par l'étendue du couvre-chef. Et dans cette profusion de corps à moitié nus et dégoulinants d'une eau aux relents de chlore, il s'en distinguait un en particulier. Quentin Coldwater. Il y en avait pourtant de plus beaux, il y en avait pourtant de plus gracieux, il y en avait pourtant de plus musclés, mais pour Eliot aucun n'avait autant d'intérêt que Quentin.

« Quentin Coldwater », se répéta mentalement Eliot. Coldwater, quel nom de circonstance en cette après-midi caniculaire où Eliot ne rêvait que de plonger dans les eaux glacées d'un Quentin extatique. Il y avait bien des choses qu'Eliot rêvait de faire à Quentin et bien d'autres qu'il rêvait que Quentin lui fasse. Il avait eu le temps d'y penser à maintes reprises depuis qu'il avait rencontré cet étudiant de première année à la carcasse voutée et aux pieds trébuchants. Tout en Quentin criait à la maladresse et à l'anxiété sociale. Alors qu'est-ce que lui, Eliot Waugh, aurait bien pu faire de ce pauvre agneau égaré ? Il l'avait pourtant trouvé mignon, il trouvait tous les premiers années mignons du moment qu'ils affichaient ce même air triste et impressionné par une rentrée dans un établissement réputé pour ses enseignements magiques. Pourtant, Quentin était différent parce qu'il avait appris à le connaître, parce qu'ils avaient défié la bête ensemble, parce qu'ils avaient conquis Fillory, mais surtout parce que Quentin était Quentin, un jeune homme rêveur croyant dur comme fer en la magie. Ce n'était bien sûr pas du jour au lendemain qu'Eliot comprit ses sentiments pour son ami, de fait, il avait toujours pensé exprimer une forte amitié pour Quentin à l'image de celle partagée avec Margo. Mais Quentin et lui avait vécu une vie ensemble, ailleurs, ils avaient eu une famille et ils s'en souvenaient tous deux et Eliot avait menti quant à l'ampleur de ses sentiments. Il avait menti à Quentin, mais il s'était surtout menti à lui-même et voilà qu'aujourd'hui, il se surprenait à épier Quentin d'un œil songeur, sa raison sûrement ébranlée par un coup de chaleur sous cette tempête caniculaire.

Eliot ajusta son chapeau à hauteur de ses yeux, juste assez pour qu'il puisse observer la marchandise sans se faire surprendre. Quentin venait juste de sortir de la piscine pour s'abreuver et alors qu'il penchait la tête en arrière pour boire, ses beaux cheveux trempés goûtèrent lentement le long de sa colonne vertébrale. Eliot contempla une goutte d'eau onduler avec lenteur sur le dos de son ami dans une descente lascive jusqu'à se loger dans le creux de ses reins. Cette goutte d'eau narguait un Eliot bien trop jaloux de ne pas être cette même goutte d'eau qui avait su se loger à la naissance du fessier de Quentin. Il sentait le regard railleur de cette goutte d'eau qu'il aurait bien aimé mettre sous sa langue dans le seul but de la faire taire. Il l'aurait sucée avec avidité tout en éraflant de ses dents la peau du jeune sorcier, tandis qu'il aurait laissé glisser une de ses mains jusqu'à cette chevelure cendrée qui s'égouttait avec délectation contre une peau nuancée de doré. Eliot avait subtilement passé sa langue sur ses lèvres, sans même en prendre conscience, tout perdu qu'il était dans le fil de ses pensées. Il avait cette désagréable impression de pouvoir sentir le corps de Quentin s'imprégner en lui, tout en ressentant la douleur cuisante de son absence. Il sentait l'impérieux besoin de l'enlacer tout contre lui comme pour assimiler la physionomie de son ami à la sienne. Il voulait sentir son menton se poser sur le sommet de sa tête d'une manière tendre. Eliot avait toujours adoré cette différence de taille qui les caractérisait, il aimait pouvoir se reposer sur son ami lors de leurs rares étreintes.

LE MERCURE AFFICHAIT 40 DEGRÉSWhere stories live. Discover now