Elle posa la fiole et décrocha la voix tremblotante.
- Marc ?
- Excusez-moi, mais vous venez de me laisser un message et vous n'avez pas fait le bon numéro.Elle ne sut pas quoi répondre et resta muette, le téléphone posé contre son oreille.
- Vous êtes là ? Allô ?
Elle voulut lui répondre qu'elle était toujours au bout du fil, mais elle raccrocha avant de jeter son smartphone d'une force herculéenne et de se crier à elle-même :
- Quelle conne ! Mais putain quelle conne ! Conne ! Conne ! Conne !
Elle s'effondra dans son divan et se mit à repenser à toutes les soirées avec Marc, assis ici, à côté d'elle. Elle y pensait si fort qu'elle avait la sensation de sentir son odeur. De le voir là, à sa droite, penché sur son ordinateur tout en faisant ses rapports et mettre aux points des formules scientifiques que ni vous ni moi ne pourrions comprendre. Elle le voyait relever la tête en souriant et lui dire à quel point il la trouvait magnifique. Sentir ses mains imposantes caresser sa peau lui manquait, ses baisers, son regard... Tout lui manquait et elle n'en pouvait plus. Les sanglots firent place à la rage. Tel un jaguar, elle bondit et malgré sa frêle carrure, empoigna son divan pour le retourner avec férocité.
Puis fit un demi-tour sur elle-même et ses yeux se posèrent sur la petite fiole. Son coeur battait la chamade, sa respiration était aussi forte qu'un buffle et ses yeux ruisselant ne présageaient rien de bon. Elle le savait, elle était trop instable. Et le pathétisme de sa vie l'énervait encore plus.
Je vais devoir retrouver son numéro et refaire mes adieux comme une pauvre conne. Je suis minable. Même mourir, je n'en suis pas capable ! Se disait-elle.
***
Tom, posé sur son lit se demandait ce qu'il devait faire. Il était presque déçu qu'elle ait raccroché. Hormis sa mère et son meilleur ami, il n'avait pas parlé à quelqu'un depuis plus de trois ans. Les seules autres interactions humaines qu'il avait, étaient avec des escortes, mais on ne peut pas vraiment dire que c'était pour parler. Cette sensation était étrange, même s'il ne se voyait discuter avec elle pendant des heures, il aurait au moins voulu la rassurer et l'empêcher de se tuer. Après une courte hésitation, il relança l'appel, mais le téléphone sonna en vain. La jeune femme n'avait pas de boîte vocale, il ne pouvait donc pas laisser de message ni même savoir son prénom.
Foutu pour foutu et sachant qu'il ne pourrait pas se rendormir, il décida de téléphoner à Geoffrey et son seul ami répondit aussitôt.
- Comment tu vas ?
- Bien. Excuse-moi de t'emmerder avec ça aussi tard, mais j'ai une nana qui vient de me laisser un message comme quoi elle veut se suicider, mais elle a fait un mauvais numéro.
- Et alors ?
- Bah, je voulais savoir si tu pouvais faire une recherche et me dire qui elle est !
- Ok, mais qu'est-ce que ça peut te foutre ? Je me doute que tu te fais chier dans ta planque, mais tu sais que tu ne peux pas avoir de liens sociaux avec qui que ce soit.
- Je ne veux rien de tout ça, je veux seulement l'empêcher de se foutre en l'air.
- Tu me fais rire.
- Je ne vois pas ce qui est drôle là dedans.
- Mec, je t'adore, mais rassure-moi, tu te souviens encore de combien de types tu as tué ? Alors te voir toi, en train de donner de l'importance à une vie c'est assez ironique.
- Ce n'est pas pareil, soit pas con et tu le sais très bien. S'il te plait, je veux savoir.
- Bon vas-y, mais la prochaine fois que tu aides une suicidaire anonyme, évite de le faire entre minuit et six heures du matin.Tandis que Tom dictait le numéro de téléphone de la demoiselle et que Geoffrey le rentrait dans son fichier informatique, la jeune femme était assise en tailleur devant sa table basse et jouait avec la fiole. Elle s'en voulait d'avoir répondu sans avaler au préalable le contenu. Mais elle s'en voudrait encore plus de partir sans pouvoir lui dire au revoir. Elle se dirigea vers son bureau et se mit à fouiller divers carnets à la recherche du numéro de Marc.
Pendant ce temps, Geoffrey était en train de télécharger la fiche de renseignement qui le laissait perplexe.
- Dis-moi, tu as bu beaucoup de rhum ce soir ?
Tom jeta un oeil à la bouteille dont il avait bu la totalité quelques heures auparavant et fit un léger rictus.
- Juste deux ou trois gorgées, pourquoi ?
- Ta fille, elle s'appelle Marc Delacroix. Il ou elle est neurologue et a cinquante-deux ans.
- Putain... Sa ligne téléphonique est au nom du mec qu'elle voulait joindre. Dans le message elle a dit ce prénom. Tu sais quoi de plus sur lui ?
- Il a une fille de vingt ans qui s'appelle Justine. Il vit à Paris. Seizième. Marié deux fois et divorcé deux fois. Casier judiciaire vierge.
- Bon... Rien de fou.
- Non. Tu as besoin de quelque chose tant que je suis là ? Je passe dans le coin demain.
- Oui je vais avoir besoin d'une nouvelle bouteille de rhum, de capotes et plusieurs boîtes de lentilles.
- Ta liste est à vomir tu le sais ?
- Oui maman. Allez merci, on se voit demain.
- Attends !
- Quoi ?
- Je veux que tu me fasses une promesse.
- Ah oui ? Laquelle ?
- Promets-moi de ne jamais la faire venir chez toi.
- T'en fais pas. Je ne suis pas con.
- Bien. Je tiens à toi.
- Je sais.Tom raccrocha tout en soupirant. Au fond de lui, il en avait marre de vivre dans cette prison qu'il avait dû lui-même se construire. C'était devoir être enfermé et se cacher pour le restant de ses jours ou mourir. Le choix n'avait pas été simple, mais la présence de son ami membre des renseignements généraux l'aidait à tenir.
Peut-être devrais-je lui envoyer un SMS ? Se dit-il.
Il n'en savait rien, mais il n'avait rien à perdre non plus. Il prit son téléphone et se mit à taper un court message.
Pendant ce temps, dans son petit appartement parisien, la jeune femme avait retourné la totalité de ses carnets sans jamais réussir à mettre la main sur ce maudit numéro.
Et si j'appelais l'hôpital ? Je n'ai qu'à dire que je suis sa fille. Avec un peu de chance, ça marchera. Se murmura-t-elle.
Elle se dirigea vers son smartphone dont la chute avait fendu l'écran d'un bout à l'autre et au moment de le saisir, elle reçut un SMS. Elle cliqua.
« Je m'appelle Tom, ne mettez pas votre vie en l'air pour rien. Vous pouvez me joindre... »
Pourquoi le destin se joue-t-il de moi ? Rageait-elle.
Sa raison ne savait que faire. Appeler le centre hospitalier et pouvoir parler à Marc où répondre à cet inconnu dont elle n'en avait rien à faire. Elle émit un long et profond soupir d'indécision.
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Une vie au bout du fil
General FictionParfois, un simple coup de téléphone peut changer une vie.