• Prologue •

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C'était la fin des deux pires jours de boulot que l'équipe de mécanique, associée pour l'occasion à l'ingénierie, avait eu à affronter. Deux jours, et deux nuits, pour vérifier toutes les navettes du vaisseau. Du point de vue d'Ayren, et de bien d'autres, il y avait mieux à faire. Leur vaisseau avait besoin de soins intensifs. Les navettes pas vraiment. Certes, en cas de panne sévère, ils devraient évacuer cinq cent mille habitants via ces mêmes navettes. Sauf que tout le monde ne passerait pas dedans donc autant éviter la panne.

Néanmoins, tout travail méritait une fête ! Enfin, après un passage dans les douches collectives. La vie sur un vaisseau perdu dans l'espace avait ses inconvénients. L'intimité est le problème majeur. Ayant grandi ainsi, personne ne s'en plaignait mais cela ne signifiait pas qu'ils ne rêvaient pas à un plus grand confort. Le vaisseau n'avait à l'origine pas été conçu pour un demi-million de personnes. Des années d'exil qui avaient vu naitre de nouveaux passagers. Ils s'étaient juste adaptés le mieux possible.

Il y a trois cent ans, après avoir pollué une planète et trois satellites, leur peuple avait inventé ce qu'il appelait le Grand Exode, rebaptisé la Grande Perdition car il n'avait jamais retrouvé une planète où vivre et qu'il errait dans l'espace. Le but initial avait été de construire des vaisseaux comme celui-là et d'y faire monter des familles triées sur le volet _reposaient en paix les autres_ afin de traverser l'univers pendant quelques temps, jusqu'à la terre promise, un endroit viable, sans vie intelligente. Evidemment, c'était beau en théorie mais la pratique c'était révélée plus ardue.

Les vaisseaux n'avaient pas été conçus pour durer des siècles. Plusieurs avaient péri avec leurs passagers. De plus, la vie à bord avait continué et le nombre d'habitants maximum était depuis longtemps dépassé. Une situation de plus en plus précaire pour tout un peuple au bord de l'extinction.

Mais ce soir, la fête battait son plein. Les différentes équipes qui avaient travaillé sur les trois hangars étaient rassemblées. La musique était assourdissante, l'alcool coulait à flot en remerciement pour leurs efforts et l'ambiance était super. Enfin, pas pour tout le monde.

Assis en retrait, Ayren regardait son verre avec une mine songeuse. Ses cheveux bruns détachés tombaient sur ses épaules et son visage, masquant en partie ses yeux vert de deux nuances différentes, sans pupille. Il ne participait pas à la fête. Il regardait tout le monde s'amuser dans cette pièce à l'allure de fausse place de village sous des étoiles artificielles tout en réfléchissant. Les événements des derniers jours ne lui avaient pas plu. La grande fête tous frais payés non plus. Ils avaient l'impression qu'on les achetait. La question était pourquoi ? Il ne comprenait pas.

« Tu boudes ? »

Zyro venait de le rejoindre. Il s'agissait de son plus vieil ami. Bien qu'étant adulte, il ressemblait à un adolescent. Il avait un visage juvénile, encadré de cheveux rouge et des yeux avec trois nuances de bleu, sans pupille comme tous les siens.

« Pas vraiment... J'ai quelque chose à vérifier aux hangars. Attend-moi là !

— Certainement pas !

— Tu devrais rester et profiter de la fête.

— Pour que tu t'attires des ennuis sans moi ? »

Cette fois, Ayren sourit. Il était vrai qu'il avait eu tendance à s'attirer des problèmes autrefois. Toujours au mauvais endroit au mauvais moment. Par chance, ses résultats scolaires, puis professionnels lui avaient sauvé la mise. Il était compétent. Suffisamment pour gérer une équipe.

Il termina son verre cul sec et quitta la pièce suivit de son ami. Ils se retrouvèrent dans un couloir ressemblant à une rue encadrée de bâtiments en pierre paré de poutre en métal et de délicats motifs en verre. Le plafond représentait un ciel étoilé. Evidemment, tout était faux. Tout était en métal ou en verre. Pas de pierre. A part les plantes. Les plantes étaient vraies.

Il ne leur fallut que dix minutes pour arriver au premier hangar. A cette heure, les rues étaient désertes. Ayren grimpa sur la plateforme afin d'avoir une vue dégagée du site. En réalité, il aurait pu rester au sol. Il n'y avait rien à voir. L'endroit était vide. Désert. Pas une seule navette.

« Il s'est passé quoi ? murmura Zyro.

— Excellente question... Allons voir les deux autres ! »

Les navettes se trouvaient à des endroits stratégiques du vaisseau. Ils empruntèrent un monotor, une sorte de moto mais en forme de grande roue, et se dirigèrent vers les deux autres hangars. Sans surprise, ils les trouvèrent vide.

« Et maintenant ?

— On retourne à la fête. Je n'aime pas jouer les rabat-joie mais ce n'est plus de notre ressort. »

Ils n'échangèrent pas un mot sur le chemin du retour. Zyro en aurait bien eu envie mais il connaissait suffisamment son ami pour savoir que cela ne servirait à rien. Ayren était plongé dans ses pensées. Ils se garèrent devant la salle des fêtes et traversèrent la foule jusqu'à un groupe d'hommes et de femmes plus âgées qui jouaient.

« Moréna ? »

L'homme aux cheveux bleus attachés à la base de la nuque avec les yeux rouges et orange soupira.

« Quoi, Ayren ? Je ne t'ai pas vu t'amuser de la soirée... Faut vraiment que tu apprennes à apprécier le peu de plaisir qu'on puisse avoir dans cette vie de merde.

— En temps normal je serais d'accord avec toi mais je viens de faire une petite promenade et les trois hangars sont complètement vides. Les navettes ont disparu. »

Il y eut un silence. Des rires. Evidemment, on lui demanda combien il avait pu boire de bouteilles ce soir. Cependant, Moréna connaissait bien le jeune homme. C'était lui qui l'avait formé. Il soupira et quitta la table de jeu.

« Tu ne le crois quand même pas ? se moqua une femme à la peau translucide et aux cheveux verts coupés raz.

— Ça ne coute rien d'aller vérifier.

— Alors on t'accompagne et après on fera boire le gamin pour lui faire regretter de nous avoir fait déplacer. »

Ayren les accompagna. Ils firent le tour des trois hangars et, comme les deux jeunes leur avaient dit, pas de navette. Zyro soupira. Refaire le parcours l'avait énervé. C'était une preuve qu'on n'accordait aucun crédit à leurs paroles. En plus, ils avaient fini par être exclus des discussions.

« Calme-toi, déclara son ami qui pianotait sur l'ordinateur le plus proche.

— C'est toi qui t'es rendu compte du problème et te voilà mis à l'écart.

— Cela n'a aucune importance. Ils ne font que discuter de la suite à donner à cette histoire. A tous les coups, ils vont vouloir prévenir les hautes sphères. Sauf que les navettes n'ont pas disparues toutes seules. Quant à savoir pourquoi, je viens de trouver et ça risque de faire plus de bruit qu'une simple disparition de navettes. »

Il fit signe à son ami de regarder l'écran. Ce dernier s'exécuta et ne put que laisser échapper un « Putain de merde ! » à la vue de ce qu'il découvrit.

« Dis-moi que t'es pas sérieux ?

— Ce ne sont que les données du dernier scan du vaisseau. Je n'ai rien inventé. J'ai juste cherché à comprendre pourquoi on nous a subitement réveillés une nuit pour surveiller les navettes. Maintenant, on a la réponse.

— Mais putain ! On ne peut pas réparer ça, Ayren ! Le vaisseau va se détruire ! »

L'exil de la LuneWhere stories live. Discover now