Chapitre 2

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Le lendemain, le groupe se lève de bonne heure pour prendre l'avion. C'est le premier voyage pour Atla et il ressent un pincement au cœur lors du décollage. Pour les autres, ce vol vers la France n'est rien de plus qu'un retour aux racines. Après tout, plus personne ne vit là-bas depuis bien des années. Lorsqu'Atla pose un pied sur le parvis du manoir, un frisson lui parcourt l'échine. Il connaît cet endroit, il en est sûr et certain. Il agite son regard tout autour de lui, ses méninges fonctionnant à toute allure. Le cliquetis de la clef qui déverrouille la serrure sonne pour lui le top départ. Il s'engouffre en trombe dans l'entrée et parcourt toutes les pièces de la demeure à la recherche de quelque chose dont il ignore la nature. Ses frères lui emboîtent le pas et malgré sa nature expressive, Paci ne trouve rien à dire. Après avoir terminé son inspection, il revient bredouille dans le couloir.

Pourquoi est-ce que rien ne lui revient ? Pourtant tout ce qu'il y a autour lui parle, chaque pièce, chaque meuble, chaque objet. Il est persuadé d'avoir déjà vécu ici. Mais cette certitude ne concorde pas avec ce qu'il voit : le mobilier est poussiéreux comme si le manoir avait été abandonné durant plusieurs décennies. Il soupire. Ce ne devait être qu'une impression de déjà-vu, rien de plus. Voyant son effarement, Ind lui tapote l'épaule.
- Alors petit chef ? Tu veux qu'on retourne à la maison ? On n'est pas obligé de rester ici si cet endroit ne te plaît pas.
- Quoi ? Après toutes ces heures de trajet tu veux déjà rentrer ?!
Paci exprime son désaccord en déballant sa valise.
- C'est NON. J'ai horreur des transports, j'en ai bavé EXPRÈS parce que TU voulais absolument voir le manoir familial, alors je refuse de partir maintenant. Vous n'avez qu'à repartir sans moi si vous y tenez tant que ça !
Atla baisse les yeux pendant que les trois autres jettent un regard froid à Paci.
- Quoi, pourquoi vous me regardez comme ça ?
- C'est bon, je n'ai jamais dit que je ne voulais pas rester. En fait je n'ai pas du tout envie de rentrer.
Atla sourit. Un de ces rictus si peu expressif et dont on ne peut deviner s'il est vrai ou faux. Devant le tension ambiante, Ind tente de détendre l'atmosphère.
- Tu es vraiment rapide pour t'emporter, on peut dire que tu n'es pas si pacifique !
Celui-ci s'énerve sur la plaisanterie de son frère.
- T'es sérieux là ? Rhaaa j'en peux plus de tes vieilles blagues moisies, t'es vraiment insupportable ! Elles sont jamais drôles en plus, tu ferais mieux de la fermer...
- Paci, arrête.
Arc interrompt le blondinet. Un seul mot suffit à le calmer. Arc a beau être le plus calme et délicat de tous, il peut être vraiment autoritaire quelquefois. Atla saisit ses bagages et monte les escaliers pour se choisir une chambre.  Ind et Austa le suivent.
- Tu sais bien pourquoi il fait cela.
- Oui, c'est bon, c'est pour faire rire Atla, j'ai compris. N'empêche que je trouve ça con.
- Le con ici, c'est toi à éparpiller tes affaires sur le carrelage du couloir. Allez, range moi tout cela et viens maintenant.
Paci ne réagit pas à cette pique et se contente de lui obéir silencieusement.

Depuis environ un mois, Atla tient un journal de bord. Arc le lui avait conseillé en soulevant le fait que cela pouvait l'aider à faire remonter ses souvenirs. Alors il s'y accroche et chaque soir, il noircit une page, énonçant les événements de la journée, ses interrogations ainsi que ses craintes et préoccupations. Ce soir, devant sa page blanche, il reste de marbre. Cet endroit était l'héritage de leur famille, et en lui résidait son dernier espoir. Cependant cette ultime flamme s'était éteinte, ses souvenirs ne lui étaient pas revenus. À présent, il se sent vide. Il ne pense plus à rien, comme s'il avait oublié jusqu'à sa propre existence.

Un bruit derrière la porte le sort de cette transe. Ind jette un regard dans l’entrebâillement, puis se permet de rentrer en prenant bien soin de refermer derrière lui.
- Atla.
Le garçon lève à peine la tête. Son grand frère se passe la main dans les cheveux avec une gêne palpable.
- Parle-moi.
Rien ne semble pouvoir percer ce mutisme. Ind connaît bien son petit frère, c'est sa façon de digérer lorsqu'il traverse une situation difficile. S'il n'y a aucun moyen de le sortir de là hormis de lui laisser le temps, ce n'est pas pour autant que son grand frère le laisse en plan. Dans ces moments-là, il aime s'asseoir près de lui et lui raconter des histoires. Atla l'écoute toujours, jouant avec ses pouces, jusqu'au moment où il réalise que tout ce que son frère baratine -aussi sérieux soit-il lorsqu'il parle- n'est qu'une énorme blague. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, Ind se tient debout devant la porte et ne bouge pas. Il fixe Atla et attend qu'il le regarde. Celui-ci, réalisant que son frère ne dit rien depuis un moment, lève le regard vers lui. Il voit énormément de choses dans ses yeux. Autant de mots et d'émotions qu'il n'avait jamais exprimés et qui -pour le coup- étaient on ne peut plus vrais et sincères. Atla remue les lèvres presque malgré lui.
- Grand frère...
Ind s'approche de lui et le serre dans ses bras. Cet élan d'affection si inhabituel de la part de son clown de frère ébranle Atla et l'émeut au plus haut point.
- Atla, vraiment... Je suis désolé que tes souvenirs ne reviennent pas, tu sais. Je ne sais pas quoi faire pour t'aider.
Le plus jeune ferme les yeux.
- Je sais que c'est tout ce que tu attends, et c'est normal. Ça arrivera un jour, mais d'ici là, s'il te plaît, pense au présent. Passe de bons moments et fais toi de nouveaux souvenirs. Ton bonheur est tout ce qui compte pour nous et, quel que soit ton passé, ce n'est pas là que tu peux le construire.
Ind parlait calmement, mais Atla pouvait entendre l'émotion dans sa voix.
- Merci, grand frère.

OcéanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant