Histoire courte I | Culpabilité

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Nouvelle écrite pour un concours ayant pour thème le harcèlement. Bonne lecture 

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Elle se regarde dans un miroir, mais elle ne supporte plus ce qu'elle y voit. Elle essaie de rester calme. Ses traits sont détendus, elle a cet air impassible, comme si s'observer était un acte banal. Cela paraît d'une facilité déconcertante. Après tout, tout le monde se regarde au moins une fois par jour. Dans un miroir, son téléphone ou même une vitre de voiture. Pourtant, son regard n'est pas calme. Des cernes violets attirent l'attention, tout comme le rouge de ses yeux. Les veines sont éclatées. Elle a trop pleuré. Encore. Cependant, elle voit au-delà de l'aspect physique. Les gens autour d'elle sont peut-être aveugles, mais elle sait. Elle a beau le cacher à tout le monde, le reflet de ses pupilles ne trompe pas.

Elle ne va pas bien. Elle a mal. Et elle s'en veut. Entre la tristesse et la douleur, la colère et la culpabilité se frayent un chemin. Elles s'imposent dans son esprit. Elles sont le rappel de sa lâcheté. Elle n'est pas courageuse. Elle n'est pas quelqu'un de bien. Non, elle ne l'est pas parce qu'elle est silencieuse. Elle n'a rien dit. Elle a juste vu et détourné le regard tellement de fois qu'elle ne peut pas compter. Ses yeux s'embuent contre sa volonté. Ses ongles parfaitement manucurés s'enfoncent dans la paume de ses mains, jusqu'à ce que le sang coule. Elle ne veut pas continuer de pleurer. Elle n'en a pas réellement le droit. Elle ne mérite pas. Les larmes n'appartiennent pas aux bourreaux.

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Le couloir est plein de monde. La sonnerie ne va pas tarder à retentir. Les cours commenceront dans une dizaine de minutes et elle n'arrive pas à avancer. Elle reste figée. Son regard est attiré par le sol tâché. Les empreintes de chaussures se comptent par dizaine. La boue laisse des traces marronnasses sur le linoléum qui était gris terne à l'origine. Pourtant, ce n'est pas ça qu'elle voit. Non, elle se rappelle des traces rouges. Le sang a totalement été effacé. C'est comme si rien ne s'était passé. Mais elle n'arrive pas à oublier toutes les fois où son sang s'est mêlé aux empreintes et à la poussière. Elle le revoit, au sol, se faire frapper. Elle se souvient du craquement de son poignet, une fois et de ses côtes, une autre fois. Elle se remémore avec tellement de facilité les mains qui l'attrapaient et les pieds tendus pour le faire tomber. Elle se rappelle des remarques qu'ils lui faisaient. 

Ses chemises toujours froissées. Ses pulls toujours troués. Son sac à dos abîmé. Ils le traitaient de pauvre, de vaurien. Ils lui demandaient toujours comment allait sa mère, cette brave femme qui essayait de recoudre tous les trous et de réparer ses lunettes quand ils lui cassaient. Ils lui demandaient si elle travaillait toujours comme bonniche, car de toute façon, elle ne savait faire que ça, ramasser la merde des autres. Et il finirait comme elle, c'est certain parce que les chiens ne font pas des chats. C'est ce qu'ils lui disaient, tous les jours. Et c'est ce qu'elle entendait, sans jamais rien dire ou intervenir.

Elle s'était toujours dit qu'elle ne faisait rien parce qu'elle ne voulait pas envenimer la situation. Si elle l'avait aidé, ça n'aurait pas servi à grand-chose. Après tout, elle est une jeune fille de seize ans qui ne connaît rien à la vie. Elle n'a pas assez de force pour se rebeller contre eux. Mais elle s'est toujours menti. Elle aurait pu l'aider. Elle aurait dû. Ce n'était pas son ami. Rien en commun et pas dans la même classe, mais c'était un être humain, comme elle.

Il avait juste besoin de quelqu'un. Une personne aurait suffi à ce qu'il se sente moins seul. Elle aurait pu le défendre. Elle aurait pu le soigner quand ils le frappaient. Elle aurait juste pu l'écouter parler. Mais non, elle est restée silencieuse. Et elle sait très bien pourquoi. Ça ne sert à rien de se voiler la face. Elle n'est pas assez courageuse pour s'élever contre eux. Elle n'a jamais voulu faire partie de leur groupe. Les populaires, c'est un monde à part auquel elle n'appartiendra jamais. Cependant, elle a toujours fait en sorte de se tenir loin d'eux et des ennuis qu'ils apportent. Ils l'ont toujours laissée tranquille et ça lui convient. Elle a toujours été une fille discrète. Elle a un petit groupe d'amis qu'elle adore et ses études se passent bien. Et elle n'avait pas envie que ça change. Elle n'avait pas envie que sa routine change. En fait, elle est juste lâche et égoïste.

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