Chapitre 3

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 Les mots tournaient dans ma tête sans qu'ils n'aient de sens entre eux. Mer, océan, bateau, vague, poisson... Non, rien à faire. Aucun accord harmonieux ne me venait à l'esprit.

—Adèle ! Tu m'écoutes ?

La voix de Julian me fit sursauter.

—Non, désolée. Tu disais ?

—Je m'inquiète vraiment pour Madame Cassandre. Regarde comme elle a l'air étrange.

J'ai levé les yeux dans la direction que m'indiquait mon fiancé. Cassandre se tenait effectivement debout, près du piano. Elle était toujours vêtue de son étrange robe, et était toujours pieds nus. Elle arborait un grand sourire, presque idiot. Les autres passagers passaient devant elle sans lui prêter attention. Un manqua même la percuter, sans s'excuser. Ils agissaient tout simplement comme si elle n'était pas là. Mais Cassandre n'avait pas l'air vexée de cette situation. Au contraire, cela semblait la ravir au plus haut point, pour une raison que je n'expliquais pas. Intriguée, je me suis levée et l'ai approchée d'un pas léger.

—Cassandre ?

La vieille dame leva ses yeux troubles vers moi.

—Oui, mon enfant ?

—Vous allez bien ? Pourquoi êtes-vous isolée comme cela ? Pourquoi les autres vous ignorent-ils de la sorte ?

Cassandre sourit.

—Je suis discrète, et je n'ai rien de remarquable. Il est normal qu'on ne me porte pas beaucoup d'intérêt.

—Ne restez pas seule ainsi. Venez avec nous.

—C'est très aimable à vous, mon enfant. J'en serais ravie.

Cassandre me suivit jusqu'à ma table et prit place à côté de Julian.

—Bonsoir, madame Cassandre, la salua-t-il. Vous allez mieux ?

—Bonsoir, monsieur Lawford. Oui. je vais mieux.

—Parfait. Souhaite-vous que nous demandions un plat au serveur ?

—Oh, non, je vous remercie, mais ça ne sera pas nécessaire. Je n'ai pas faim.

—Vous n'avez pas faim ? Etes-vous sûre de vous sentir bien ?

—Oui ! Vraiment, cessez de vous inquiéter Julian. C'est simplement l'âge qui me fait perdre l'appétit !

Malgré notre insistance, Cassandre a refusé catégoriquement de manger. Il m'aurait paru impoli de l'obliger, aussi me suis-je tue, non sans souci. Après un début de dîner silencieux, Julian engagea la conversation.

—Parlez-nous de vous, Cassandre. Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ?

—Je ne suis pas grand-monde. Rien qu'une vieille dame comme les autres.

—On vous a toujours vu seule. N'avez-vous aucune famille ?

—Non. Je n'ai jamais eu d'enfants, le père que je leur envisageais étant mort voilà près de cinquante ans.

Un silence s'installa.

—Pardon, Cassandre, ai-je commencé. Vous avez perdu votre mari ?

—Nous n'étions pas encore mariés. Seulement fiancés. Il s'appelait Edward.

—Edward ! Un vrai nom de pirate ! s'exclama Julian avec un grand sourire.

—Julian ! Ce n'est pas le moment pour de tels élans d'euphorie ! l'ai-je réprimandé.

—Laissez, Adèle, laissez. A vrai dire, je préfère le voir ainsi. Son prénom signifiait «le gardien des richesses ». Aucun n'aurait pu lui convenir davantage. Il incarnait tous les trésors perdus de ce monde. La joie, le bonheur, l'insouciance et les rêves. Mais le trésor qu'il gardait le plus jalousement, c'était mon cœur. Il aurait abandonné tous les autres, s'il l'eut fallu pour conserver celui-ci. Et il l'a conservé jusqu'à la fin. Il est mort en me tenant la main, et la sienne, en retombant en même temps que son dernier souffle, a emporté ma bague de fiançailles. Je l'ai perdue pour toujours, et n'ai jamais voulu en porter une autre. Edward était le seul, l'unique qui ait jamais importé. Je n'ai jamais accepté les bras d'un autre. Je n'attends plus que de le rejoindre de l'autre côté. Voilà cinquante ans qu'il m'attend...

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 24, 2019 ⏰

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