1 - Retour en enfance

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Voilà bien 10 ans que je n'avais pas remis les pieds dans cette maison où j'avais grandi. Mes parents n'y vivent plus depuis un moment, depuis qu'ils ont élu domicile dans une résidence communautaire pour personnes âgées. Ils ont l'air heureux de partager leur quotidien avec d'autres personnes, trop âgées pour vivre seules, mais suffisamment indépendantes pour ne pas aller en maison de retraite.

Heureusement, ils ont quand même gardé la maison familiale. Ça aurait été un déchirement de la perdre. Il y a tant de souvenirs ici, de l'enfance à l'adolescence. Et tout est intact et à sa place. Madame Meyer, une voisine et amie de la famille, a bien pris soin de la maison toutes ces années. Dur de croire qu'elle est inoccupée depuis si longtemps quand on voit l'état impeccable dans lequel elle est.

Même l'extérieur est parfaitement entretenu. Je ne m'attendais pas à ça en venant à l'improviste. Étrangement, même la maison voisine semble moins bien entretenue, alors qu'elle est habitée. Je me demande qui y vit à présent. À moins que ce ne soit toujours le même couple.

Quand j'étais plus jeune, j'ai eu un vrai coup de foudre pour leur fils, je m'en souviens encore, tellement c'était ridicule. Dès l'instant où j'avais appris que la maison avait été vendue à un couple avec un enfant de mon âge, j'imaginais déjà qu'il m'était destiné et que ce serait l'homme de ma vie. Et le jour de leur emménagement, dès la seconde où je l'ai vu, craquage total. Mais vraiment ! Je n'ai pas seulement craqué pour lui, mais je crois aussi que mon cerveau a craqué : je suis rentrée chez moi en courant, un grand sourire aux lèvres, et je me suis roulée par terre. Littéralement. Comme je le disais : c'était ri-di-cule.

Bien qu'il ne se passât rien entre nous, ce fut mon grand amour durant quelques années. Je chérissais chaque instant passé à ses côtés. Enfin, quand je dis « à ses côtés », c'était plutôt des moments de groupes, avec tous les enfants du village. Mais je n'avais d'yeux que pour lui et j'attendais impatiemment la moindre occasion d'échanger un regard ou quelques mots avec lui. Parfois j'avais l'impression qu'il savait ce que je ressentais pour lui, et d'autres fois je me demandais s'il savait même que j'existais.

En réalité, il ne pouvait pas totalement m'ignorer, puisque à chaque fois que le groupe se séparait, pour que chacun rentre chez soi, lui et moi faisions un bout de chemin ensemble. Le privilège du voisinage.

Un jour, alors que le groupe était réuni, l'ensemble des garçons s'était moqué de nous, disant qu'il se passait quelque chose entre nous et qu'il était amoureux de moi. La petite fille que j'étais à l'époque se réjouissait, rien que de l'imaginer. Mais, lui s'était tout de suite énervé, niant totalement les faits. Mon petit cœur était blessé à cet instant. Mais, en réalité, il le fut encore plus durant l'heure qui suivit. Le groupe s'était dispersé et j'étais rentrée seule pour une fois. Lui était resté sur la place du village, tout seul, immobile sur un banc. Je l'ai observé depuis ma fenêtre, de longues minutes, presque une heure entière, me demandant ce qu'il pouvait être en train de penser et pourquoi il avait eu l'air blessé de la sorte par les moqueries des autres.

C'est à partir de cet incident que j'ai commencé à croire que mes sentiments étaient peut-être réciproques. Mais le temps passa et tout redevint comme auparavant. Ni plus, ni moins. Jusqu'au moment où nous avons tous deux quitté le nid pour aller étudier ailleurs. Après quoi, on ne s'est jamais revus.

Me retrouver devant sa maison me rends si nostalgique. Je ne peux m'empêcher d'aller vérifier le nom sur la boîte aux lettres : effectivement, ce sont toujours les mêmes voisins.

J'entends du bruit en provenance de la maison, probablement la télévision. Je vois que la fenêtre est entrouverte. Sans même m'en rendre compte, je monte discrètement les escaliers extérieurs, menant à la porte d'entrée, et m'approche de la fenêtre. J'aperçois vaguement une personne dans le tout petit entrebâillement de la fenêtre. Et si c'était lui ? C'est peu probable, mais j'ai besoin d'en avoir le cœur net. Je tire tout doucement sur la fenêtre pour l'ouvrir un peu plus. Rien qu'un petit centimètre, juste assez pour voir la totalité de son visage. Je l'observe attentivement, tout en sollicitant ma mémoire. Il a bien changé et est devenu un vrai homme, mais c'est lui. Ces yeux, ce nez, cette bouche. Il n'y a aucun doute possible.

Un amour d'enfanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant