- Bien... Raconte-moi tout maintenant.
Son visage à quelques centimètres du mien, il me fixe avec son regard espiègle, fier du malaise provoqué et impatient de m'entendre en dire plus.
- Tu n'es pas un peu trop près là ?
- Je ne crois pas, non. Je suis à parfaite distance. Ni trop loin, ni trop près.
Je me sens rougir à nouveau. Je prends quelques gorgées de vin pour essayer de détourner l'attention, en vain.
- Dis-m'en plus. J'attends.
- À quel sujet ?
- Sur ce que tu ressentais pour moi.
- Sérieusement ? Comment veux-tu que je te parle de ça ? C'est... intime. Et très gênant.
- Commençons facile. Quand es-tu tombée amoureuse de moi ?
Je rigole nerveusement. Mais il ne détourne pas le regard et semble attendre sérieusement une réponse, alors je décide de me lancer et d'abandonner toute gêne derrière moi. Après tout, c'était il y a longtemps, il y a prescription maintenant.
- Le jour où tu as emménagé.
- Ah oui ? Dès le début ?
- Oui. Je crois même que je t'aimais déjà avant ça.
- Avant de me voir ? demande-t-il confus.
- Oui, dès que j'ai entendu parler de toi, j'ai su... Que tu étais le bon. Et quand je t'ai vu, ça me l'a confirmé.
- Le bon ? Carrément ? Mais à l'époque on avait quoi ? 15 ans ?
- 12 ans pour ma part. Donc 13 pour toi.
- Wow, c'est fou, je ne me souviens pas trop de cette époque-là. Je pensais que c'était plus tard.
- C'est qu'on ne se voyait pas trop au départ. Mais telle une groupie, je t'ai observé attentivement, de loin, dès que j'en avais l'occasion. J'essayais de te comprendre, d'apprendre ce que tu aimais. Je voulais devenir la fille parfaite pour toi, pour que toi aussi tu finisses par penser que « je suis la bonne ».
- J'étais loin de m'imaginer tout ça. Tu m'observais vraiment ? Genre espionne, avec des jumelles et des caméras cachées ?
- J'aurais bien aimé, mais non. Je me contentais de regarder par la fenêtre, de mettre mon oreille contre les murs et de sortir « par hasard » au même moment pour pouvoir te croiser, même si ce n'était que pour échanger un « bonjour » de politesse.
- Je n'ai jamais rien remarqué. C'est dingue.
- C'est moi qui étais dingue. De toi.
On rit tous les deux et on prend une gorgée de vin en parfaite synchronicité.
- À l'époque, j'avais un journal intime, avec un de ces petits cadenas ridicules qui se cassent tout seul. J'y écrivais tout ce que je ressentais : mes joies et mes peines. Et j'y racontais des anecdotes à ton sujet.
- Quel genre d'anecdotes ?
- Oh c'était surtout des choses un peu puériles, sans aucune importance, comme n'importe quelle fille amoureuse de cet âge. Du genre « Oh mon Dieu, je l'ai croisé aujourd'hui, il était trop beau dans son pull orange ».
Il éclate de rire. Ça m'amuse de raconter tout ça. C'est si vieux, que c'est comme si je racontais une histoire qui ne m'appartenait pas.
- Le pull orange, limite fluo, beaucoup trop grand pour moi ? Mais tu sais que je m'en souviens de ça ! Je le mettais souvent.
- Eh bien je m'en souviens aussi, de toute évidence. Et je crois que j'avais écrit ton prénom à côté, à l'aide d'un surligneur orange fluo.
- Avec des petits cœurs autour ? demande-t-il pour me titiller.
- Peut-être bien. J'ai bien peur d'avoir décoré les nombreuses pages te concernant de beaucoup de cœurs et autres dessins cucul.
- Si nombreuses que ça, les pages ?
- Trop pour l'admettre.
Je sirote quelques gorgées supplémentaires. Je descends les verres sans même m'en rendre compte, tant le vin est doux et la discussion prenante. Il finit son verre et nous resserre à nouveau avant d'enchaîner.
- Bon... Qu'est-ce qui te plaisait chez moi au juste ?
Je ne suis pas sûre de savoir comment répondre à sa question, c'est pourquoi j'opte pour quelque chose d'un peu vague, néanmoins vrai.
- Et bien, comme je crois l'avoir noté sur mon journal intime... « J'aime tout chez lui. J'aime même ses défauts, car ils font partie de lui. Et c'est comme ça que je l'aime » Quelque chose dans ce goût-là.
- Mes défauts ?
- Je ne suis même pas sûre que je te trouvais des défauts. J'étais totalement aveuglée par l'amour. Et dire que j'aimais tes défauts c'était juste une façon d'exprimer à quel point je t'aimais et que je serais prête à tout accepter pour avoir la chance d'être avec toi.
Je croise son regard, sans réussir à déchiffrer ce qu'il peut penser.
- Enfin, c'était de la théorie. De l'époque. Tu vois, quoi ?
- Hum, oui. Mais du coup, qu'est-ce que tu aimais chez moi ?
Mon regard se perd un instant dans ses beaux yeux bleus, d'un bleu trop parfait pour être réel.
- Eh bien tes yeux, pour commencer. Ça devrait être interdit d'avoir des yeux de cette couleur !
Il sourit et son visage s'illumine davantage.
- Et ce sourire. Tu ne devrais pas avoir le droit de me sourire comme ça.
Sans doute aidée par le vin, je porte la main à son visage. Son sourire disparaît mais il semble détendu. Je passe délicatement mon pouce sur sa lèvre inférieure.
- J'aimais la forme de ton visage... et de ta bouche, dis-je lentement, perdue dans ma contemplation.
Instinctivement, j'humecte mes propres lèvres avec ma langue, ayant une soudaine envie de goûter aux siennes. Mais je me ressaisis et détache ma main de son visage, avant de tapoter d'un petit coup de doigt le bout de son nez.
- Et ton nez aussi. J'aimais beaucoup ton nez, dis-je, ayant retrouvé mes esprits.
Il se racle la gorge, un peu gêné, et reprend ses esprits aussi, avant de plaisanter pour cacher sa gêne.
- Au moins j'avais une belle gueule, c'est déjà ça.
- Oui, mais...
- Mais quoi ?
- J'aimais bien tes fesses aussi.
Je crois le voir rougir, alors qu'il enfouit son visage dans ses mains en ricanant bêtement.
- Tu sais quoi ? Je crois que j'ai un peu trop bu et qu'il est déjà tard. Je ferai mieux d'y aller. En plus, ça te donnera l'occasion de vérifier si mes fesses sont toujours bien.
Il se lève et commence à ranger ce qui traîne sur la table. Je le regarde faire quelques secondes avant d'oser prendre sa main droite avec mes deux mains. Étonné, il s'arrête et me regarde. D'une voix timide mais décidée, je lui demande :
- Reste, s'il te plaît.
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Un amour d'enfance
RomanceAlors que l'héroïne retourne dans la maison de son enfance, elle retrouve aussi le garçon qu'elle avait aimé en secret durant plusieurs années.