lettre à enora

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ils ne sont que des vies qui s'entremêlent
qui se croisent sans se regarder
vies pressées vies fiévreuses en bousculant les arbres
leur souffle chauds entrecoupés

ils hurlent, de leur voix sourde brisée
ils s'en écorchent la voix et les poumons et le corps et le cœur
ils marchent et ils écrasent du verre bleu sous leurs pieds

ils hurlent des mots iconnus
ils se sentent affreusement seuls dans ces villes surpeuplées
ils n'entendent plus les autres et continnuent leur courses
ils parcourent des kilomètres chaque jour pourtant ils arrivent chaque soir au même point
Ils courent pour aller à leur travail
ils travaillent pour manger
ils mangent pour vivre
et ils vivent pour leur travail

et tu sais, Enora, ce que c'est le pire dans tout ça ?

ils n'aiment pas courir, et encore moins travailler.

et puis parfois, ma fille, ils croisent la beauté
mais la beauté, elle est insaississable et eux ils ont autre chose à foutre que de la regarder
alors ils passent leur chemin, en la bousculant et en murmurant des injures

mais il arrive qu'ils l'aperçoivent
et là, ils deviennent jaloux de la beauté
ils la confondent, la vénèrent, l'admirent
mais la beauté elle est inssaississable
ils en viennent à donner leur âme à quelque chose auquel il ne croient plus

ils continuent à courir, aveugles, sourds, perdus
ne voient plus que le gris

ma fille, tout ça m'effraie
moi aussi, je cours et je crie des mots que je comprends pas
j'essaie de rejeter les ciels gris emprisonnés dans mes poumons

toi, tu as neuf ans (et demi) et tu jures que par les pirates
les pirates, et pis les dinosaures volants
tu fais des gateaux bleus, verts et oranges
tu cours dans les rues prisonnières de nuages et de fumée avec un sourire aux lèvres

tu réussirai à me faire rire
mais je suis trop gris et trop terne ma fille
je suis désolé

Enora, t'as neuf ans, bientôt dix
et t'es si belle ma fille
je t'en supplie, ne te confonds pas avec les nuages

il faut que je te dise la vérité à propos de maman
je n'ai pas toujours été gris tu sais
y'a quelques année encore je voyais en couleur et je ne demandais qu'a vivre la beauté
ta maman, elle était belle

un jour, elle est revenu du travail
et ses yeux bleus ils étaient devenus gris
j'ai eu peur
alors je lui ai proposé d'aller voir quelque chose de beau
pour que la lumière dans ses yeux se rallume
je l'ai amené sur le toit

il y avait des nuages mais c'était pas grave
parce que le soleil, ça brûle les peaux et le macadam
il a plu et c'était beau
on était hilares parce que les nuages, parce que la pluie et parce que les toits
et pis ses pieds dans la flotte, ses jambes se découpants dans le ciel gris, ses ongles crissants sur les tuiles et son regard éteint était devenu implorant
Enora, ta maman était si belle quand elle essayais de se ratacher à la vie

tu m'as demandé « elle est où maman ? »
je t'ai répondu qu'elle était partie en Amérique
qu'elle est devenu archéologue et qu'elle travaille sur les T-rex
et puis t'as fait un sourire triste
t'aurai voulu qu'elle soit pirate

mais ta maman elle n'était pas en Amérique
la vérité c'est qu'elle était rouge sur le bitume sol gris
la vérité s'est que j'aurais dû lui donner la main et la relever
mais elle était si belle et je voulais pas qu'elle se mette à courir comme tous ces passants

et le pire, c'est que je n'ai pas de regrets
on ne vit que pour la beauté non ?

enora, la vérité c'est que le bitume et les immeubles vont te bouffer à ptit feu
qu'un jour tu vas devnir grise
un jour tu vas te mettre à étouffer sous le poids des nuages
j'ai peur ma chérie

de toute façon on n'est que des éphémères
prisonniers dans un monde trop fade

courons loins des étendues grisesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant