L'Affreuse abondance

Aux âmes haletantes, l'abattement peut sembler irrévocable : les aléas du temps ont tari les sources conventionnelles et jusqu'à l'espoir de se revigorer. Mais bientôt poindra de ces crevasses sèches des nappes pérennes et putrides, inondant même leurs contrebas. Et elles y goûteront, d'abord timidement, sans se douter qu'en leur sein ils distillent déjà la contamination.

Il est aisé pour la plupart d'entre nous de trouver de quoi s'abreuver au quotidien. Avec ou sans aide, nous aménageons nos points d'eau ou en cherchons de nouveaux. Qu'à cela ne tienne si certains ne sont que des oueds : « si je ne puis m'abreuver de Certitude, j'irai laper des gouttes d'Espoir ». L'harmonie de notre hydratation garantie l'équilibre de toutes nos ressources profondes. Ainsi, avec assèchement des sources des pauvres âmes viendra le temps de la métamorphose, car qui ne s'adapte meurt.

Pour ceux que la soif étouffe, cette nouvelle source inattendue, la Haine, semble salvatrice : enfin les émotions négatives symptomatiques s'avéreront utiles ! La frustration se galvanise en détermination, la honte en mépris, l'impuissance en colère et la déception en acceptation. Tout est cristallisé pour sauver la pérennité de l'individu, au prix de ses autres sources qui jamais ne pourront repoindre. Car c'est là que réside le piège de la Haine nourricière ; quiconque s'en abreuve s'enferme dans une spirale infernale d'occlusion et de négativité. La cristallisation des émotions fait passer toute action pour malintentionnée, toute opinion comme désobligeante. Il y a du mépris partout car il n'y en a nulle part, et la meilleure défense c'est d'attaquer en premier.

Heureusement, pour qui sait s'en prémunir, la Haine n'est pas une fatalité. À faible dose pour que l'on puisse la comprendre et la vaincre, elle peut même rester rafraîchissante. L'équilibre des sources est complexe, et il n'y a aucune injure à aller y puiser accompagné. Il est plus aisé d'aider un assoiffé qu'un noyé.