La criminelle

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31 octobre 5097. Signe du destin ? Lors de la Fête de la peur, après des mois et des mois de souffrance de la part de la mère naît, dans une grande famille composée de cinq garçons uniquement, une abomination. Cette abomination, c'est moi ; N1-V01.

Le peuple Exanthrope est un peuple robotique tellement similaire aux humains qu'on en vient même à se reproduire entre nous, comme eux. Un peuple pourri jusqu'à la moelle où règne le machisme et la misogynie. Les hommes sont appelés Exos, les femmes Axos. Et c'est dans cette atmosphère que je suis venue au monde, souffrant de tous les maux.

Les Exanthropes sont fortement liés aux magies pouvant donner de l'énergie ; que nous manipulions l'eau, l'électricité, le feu, l'air ou que sais-je, nous sommes dotés de centrales adaptées à nos magies pour qu'on puisse vivre sans bouffer à longueur de journée des piles chimiques. Moi, je suis une Axo de la nature, gagnant son énergie par la pourriture des végétaux en mon fort intérieur. Je suis née avec un surplus de production énergétique, et un système d'absorption d'odeur défaillant.

Parce que j'étais une femme, j'étais discriminée par tous les garçons, y compris mes cinq frères. Parce que je puais, j'étais évitée par tous ceux que je croisais.
Parce que je ne ressentais aucune émotion, tout le monde se moquait de moi.
Pire encore, parce que je ressemblais étrangement à une Ent à cause de mes systèmes enfouis sous des couches de branches et d'écorce, les autorités elles-mêmes me chassaient.

Je ne suis jamais allée à l'école, pour ces raisons. Tous les ingénieurs qui ont voulu réparer mon corps et mon Code ont été impuissants. Je ne suis que très rarement sortie. Mon odeur imprégnait la maison entière, si bien que tous nos invités s'écroulaient, assommés par la puanteur, et ce même s'ils se bouchaient les systèmes olfactifs. Seule ma famille s'y est habituée... Mais plus je restais là, plus je sentais que tout le monde était hostile envers moi.

Au début, lorsque les médecins leur ont décrit l'état de leur bébé, mes parents ont voulu avorter. Il aurait mieux fallu pour ma pauvre mère de faire ce qui avait été prévu, mais mon père s'est ravisé, pour je ne sais quelle raison. Ma mère n'eut aucun mot à dire. La plupart des familles sont dirigées par un mâle, sans aucune opposition féminine. C'est la seule chose qui me révoltait, durant mon enfance... Et qui me révolte toujours.

L'aîné de la famille me fuyait. Le cadet me chahutait. Les trois autres me prenaient pour leur sous-fifre absolu. Je ne faisais jamais rien de mal, mais toute faute faite par qui que ce soit était défendue par la même seule, unique et fausse sentence : "C'est pas moi, c'est N1-V01 !"

Les représailles de mon père étaient terribles. Je crois qu'il savait que c'étaient ses fils les fautifs, mais je pense surtout que ça l'amusait de pouvoir se déchaîner sur une pauvre petite femelle sans défense. Les jours où mes frères n'avaient rien à se reprocher, ils cassaient volontairement quelque chose pour avoir leur spectacle quotidien... Ou alors c'est mon père qui me battait sans raison aucune.

Seule ma mère, une Axo de l'eau, avait de la compassion pour moi. Elle aussi, elle était battue par papa, mais moins souvent que moi. C'est elle qui m'a élevée, qui m'a tout appris. C'est grâce à elle que je suis aussi cultivée alors que je n'ai que très peu quitté le domicile familial. Je l'adorais.

J'avais treize ans, l'équivalent de six de vos années, lorsque j'en eus marre. La nuit tomba sur cette abominable maisonnée, et j'attendis que tout le monde fût endormi. Je me levai de mon lit. Cela ne réveilla personne, tout le monde était habitué à ce que je me promène dans la maison la nuit ; à cause de mon surplus d'énergie, je ressentais beaucoup moins la fatigue et ses effets. Je m'attendais tout de même à ce que mon père se lève pour me mettre une raclée -ces promenades nocturnes m'étaient défendues-, mais il avait eu une dure journée et avait commencer à ronronner (ronfler, si vous préférez, mais les Exanthropes ne ronflent pas) dès qu'il s'était affalé sur son lit.

Archives : Y. P. S. O.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant