L'achèvement

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Jamais je n'ai ressenti de peur aussi forte. Mêlée à une nouvelle odeur que j'avais à peine soupçonnée auparavant. Je découvris pour la première fois les senteurs du désespoir, des rêves brisés et des larmes libérées après avoir longuement été retenues.

Lorsque Alan 1er se réveilla, son premier réflexe fut de tenter un jet de foudre sur notre groupe. Aucune chance. M01-R4 avait récupéré un collier inhibiteur, en changea le code et l'attacha au cou de notre victime.

Il tenta de fuir, mais il était piégé. Par la fenêtre, on ne voyait que désolations. Par la porte, on ne voyait que dévastations. Et dans la salle même, on ne voyait qu'abominations. Le trône avait été amputé de sa planche principale, qui avait rejoint ses congénères. Le puzzle avait été assemblé. J'avais soudé les différentes pièces par des fibres de bois, tels des fils de suture fermant une plaie.

C1-N37 prit l'homme par la tête d'une seule main, le forçant à regarder le tronc restructuré. Il ne pouvait ni tourner la tête à cause de la poigne de notre forcenée, ni fermer les yeux par une paralysie des paupières provoquée par l'électricité de M01-R4. Je commençai la procédure.

Sous mon commandement, les fibres les moins compactes du tronc partirent en fumée. Le bois restant formait la parfaite image en trois dimension de l'impératrice au moment de sa pétrification.

-CHERYL !!! hurla l'empereur, découvrant enfin la vérité.

Et encore, ce n'est pas fini, pensai-je en souriant.

J'ai inversé mon sortilège : assez rapidement, les tissus de bois s'en allèrent, dévoilant le véritable corps de la femme. Nue, inanimée, molle, pathétique. Le sang ainsi que tous les fluides corporels ayant déjà été absorbés, les différentes lamelles de son corps ne firent pas beaucoup de saletés lorsqu'elles tombèrent toutes d'un coup sur le sol, pourtant déjà souillé de l'hémoglobine et des cendres pétrifiées de six hommes.

C1-N37 relâcha l'empereur, qui courut instinctivement vers les restes de son épouse. Je ne me lasserai jamais de me rappeler l'arôme qui s'était dégagé dans la pièce. Au comble de l'effroi, à l'apogée du désespoir et au summum du deuil, il pleura —pour la première fois depuis son arrivée au trône— toutes les larmes de son corps et de son cœur. Il ne cessait de répéter en sanglotant : "Pourquoi ? POURQUOI ?"

Puis ils se tourna vers moi, horrifié :

-Comment...

Je fonçai vers lui et lui chopai la tête. C'est quelque chose que j'avais appris récemment : je pouvais emmener d'autres personnes dans le monde des rêves, si j'étais assez proche de leur cerveau. Il fut donc emmené dans une zone spirituelle cauchemardesque. Il réalisa l'absence de son collier inhibiteur et tenta un sort ; sans espoir.

-Oublie tout de suite. Peu de personnes sont capables de sortilèges, ici.

-Et elle en fait partie.

Un filet de bave verdâtre et puant s'écrasa devant mes pieds. Alan n'aurait jamais dû regarder quelle en était la source : si peu de gens arrivent à ne pas s'évanouir face à l'odeur de Oorn, c'est pourtant encore plus difficile face à son horreur. Néanmoins, il tint bon, par miracle, comme paralysé. Le Grand Ancien chuta sur le sol à mes côtés, et je caressai son flasque flanc tout en regardant ma victime droit dans les yeux.

-Tu te demandais comment j'ai fait ça ? Regarde :

Oorn manipula les alentours pour nous montrer une vision du passé. Cette fois-ci, C1-N37 n'étant pas là, ce fut moi qui, avec ma maîtrise des lianes, immobilisai l'empereur déchu. Il vit tout ; comment il s'est fait berner par notre espionne, comment je me suis amusée à torturer son épouse, comment je l'ai métamorphosée... Et comment il l'a lui-même tuée.

Archives : Y. P. S. O.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant