8 - Frail

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Les hommes les plus fous sont souvent les hommes les plus tristes. Il s'agit là d'un dicton bien connu qui s'avère pourtant être plus ou moins le reflet de la réalité et, la meute l'avait appris à ses dépens, de la plus cruelle des façons. Il était difficile de s'imaginer quelqu'un que l'on se figure empli de joie au quotidien, sujet à de lourdes insécurités et à quelques tendances dépressives. Peut-être était-ce plus simple pour tout le monde de fermer les yeux sur la situation. C'était drôle de constater comme les gens se mettaient subitement à écouter alors qu'il était déjà trop tard.

Hoseok, d'aussi loin qu'il se souvienne, avait toujours tenté d'apporter joie et bonne humeur tout autour de lui. Le réconfort au sein de la meute était pour lui primordial. Enfant déjà, lorsqu'il arrivait à Jungkook de tomber et de s'écorcher les genoux, il était le premier à faire le pitre pour chasser les premières larmes qui s'agglutinaient devant ces grands yeux scintillants. Une manière pour lui de les éloigner de la douleur, de la peur ou encore pour chasser leur tristesse. Néanmoins, à force de toujours forcer le rire, la bonne humeur, il avait fini par être catalogué comme le petit rigolo au sein de la meute. En s'efforçant d'écouter leurs problèmes et complaintes, il avait fini par en être indirectement touché. Mais personne ne le remarqua, parce qu'il ne montra rien.

Pourquoi ne s'était-il pas confié, pourquoi n'avait-il tout simplement pas craqué devant eux, tiré la sonnette d'alarme ? Lâcher prise aurait sans doute évité toute douloureuse situation. Il n'avait lui même pas la réponse à cette question, ou peut-être que si mais si le problème venait de là, alors le loup se sentait incroyablement stupide. Cela devait remonter à ses huit ans environ. Sa grand-mère était souffrante, la vieillesse gagnait du terrain et même sa nature lupine n'y pouvait plus rien. Un soir, en rentrant de l'école, il avait fait le chemin avec une camarade de classe qui s'était disputée avec des plus grands. Pleurant à chaudes larmes, Hosoek n'avait pas su la réconforter, il avait même amené sa grand-mère sur le terrain et son amie s'était mise à hurler. Depuis, il n'avait plus jamais ramené quoi que ce soit à lui, de peur de déclencher une nouvelle fois une scène comme celle-ci. 

« -Tais-toi Hoseok, personne ne veut entendre tes problèmes, ils n'ont pas besoin de ça. »

C'était ça, la phrase qui tournait en boucle dans son esprit lorsqu'il ne supportait plus le monde qui l'entourait. Jour après jour, alors que le poids des soucis de plus en plus nombreux pesait lourd sur ses épaules, il s'efforçait de penser à ces mots et alors il se renfermait sur lui même, offrait un sourire à qui voulait bien le voir et se contentait de fermer la porte de sa chambre à double tour. Parce qu'après tout, qui voudrait l'écouter ? Le monde n'allait pas s'arrêter de tourner rien que pour lui et les gens n'allaient pas s'arrêter sur sa petite personne. Il y avait bien plus grave dans la vie.

Alors il avait commencé à compenser le silence par de mauvaises habitudes. Les quelques esquisses qu'il dessinait dans les coins de ses feuilles de cours étaient sombres, inquiétantes et informes. Montrez-les à n'importe quel psychologue compétent, et il vous dirait sûrement que cet adolescent avait besoin d'aide au plus vite. Encore qu'ils auraient été capables de le mettre dans les mains d'un psychiatre, qui lui même l'aurait mis sous médicament parce que les choses étaient plus simples ainsi. Et peut-être que Hoseok avait besoin de voir quelqu'un, peut-être même en avait-il l'envie. Mais cela voulait dire se montrer au grand jour, demander l'autorisation de ses parents et leur prendre de l'argent pour les trop nombreux rendez-vous qui auraient suivi. Alors non, une fois de plus, il n'en dit rien. 

Outre les dessins inconscients, le loup avait également commencé à prendre de trop nombreuses mauvaises habitudes alimentaires. Il jouait plus avec sa nourriture qu'il ne la consommait réellement et lorsqu'il mangeait pour donner le change devant ses proches, son estomac était incapable de garder tout ce qu'il avait avalé plus de deux heures. Il se forçait à vomir, s'en abîmant la gorge, s'en donnant les larmes aux yeux. Suivait toujours cette action d'un sentiment de mal-être intense. L'impression de ne pas être normal, de profiter de ce qu'on lui offrait sans être capable d'être reconnaissant. Il pensait ne pas en valoir la peine, en agissant ainsi. Dans ce laps de temps, Hoseok perdit du poids, près d'une dizaine de kilos étalés sur une plage horaire de six mois. Personne ne remarqua quoi que ce soit. Ni ses parents, ni la meute, ni les gens qui l'entouraient au quotidien. Il fallut attendre que Yoongi entre dans leur vie pour que l'humain soit finalement celui qui sache lire entre les lignes de son sourire.

L'humain commença par de simples réflexions, sur sa manière de manger, sur son teint cireux. Puis finalement, un midi, il le suivit discrètement aux toilettes. Trop pris dans son idée de régurgiter tout ce qui était entré dans sa bouche, Hoseok ne s'était pas fié à ses sens, il n'avait pas pris assez de précautions et Yoongi avait tout découvert. Il ne lui aura fallu que trois semaines, alors que ses proches n'avaient jamais rien vu en quinze ans d'existence. 

Alors bien entendu, ça n'avait rien changé dans les premiers temps. Hoseok avait refusé de se confier à l'humain, il s'était même montré particulièrement odieux mais lorsque Yoongi avait insisté pour en parler avec le reste de la meute, le loup avait craqué. Personne d'autre ne devait savoir, encore moins eux. Sous la pression que lui mettait son aîné, il déballa tout. Ses insécurités, la peur constante de ne pas être suffisant, la crainte de l'abandon. Il parla ensuite de cette sensation de trop qui lui collait à la peau lorsque tout le monde venait se confier à lui, comme s'il était capable de tout gérer avec son frêle corps d'enfant de quinze ans. 

Sans trop savoir comment, il pleura sur son épaule de longues heures durant après que l'humain est réussi à le convaincre de venir passer la nuit chez lui. Ainsi étaient-ils seuls et même si cela signa le début d'une longue nuit blanche, Yoongi le fit parler, pleurer, crier, hurler, frapper. Il le fit extérioriser sans le moindre jugement, et dieu que cela lui fit un bien fou. Il se sentit mieux, léger, et quand bien même tout n'allait pas s'arranger d'un claquement de doigts, Hoseok savait qu'il s'engageait sur une bonne voie. Cependant, il fit jurer à l'humain de ne jamais plus en parler, à qui que ce soit, s'il promettait de venir vers lui lorsqu'il se sentirait de nouveau prêt à sombrer. Le deal était signé et même s'il fallait encore le pousser à se confier. Néanmoins, malgré les nombreux progrès de ces huit dernières années, le jeune homme sembla faire un bond en arrière après l'incident des solitaires. Il mangeait peu, n'osait plus ouvrir la bouche et il fallut cette fois plus de temps à l'humain pour comprendre de quoi il retournait.

« -Hoseok.. ? »

Questionna Yoongi d'une voix tendre, comme s'il s'adressait à un animal apeuré. Parce qu'au fond c'était sans doute ce qu'il était, en cet instant. Le reste de la meute était sorti de quoi acheter les ingrédients nécessaires au repas du soir même. L'humain ne pouvait pas encore se déplacer par lui même et le loup s'était porté volontaire pour veiller à ses côtés. Peut-être était-ce là une demande d'aide inconsciente de sa part, que son aîné avait une fois de plus su saisir. Assis dans le rocking-chair près du lit, il jeta un coup d'oeil à son interlocuteur qui lui offrit un sourire contrit avant de lui tendre délicatement la main.

« -Je suis là tu sais, je ne vais pas m'envoler. Et je veux t'entendre, qu'est-ce que tu as à me dire ? »

Ainsi, ce fut comme si toutes les écoutilles s'étaient ouvertes en même temps. Un torrent de larmes roula sur les joues du lupin qui s'empressa de rejoindre l'humain entre les draps. Il avait eu si peur de le perdre, de ne plus jamais l'entendre râler, de ne plus le voir prendre soin d'eux, de lui. Sa mort s'était jouée à un rien, et il avait été impuissant.

Parce qu'au fond, qu'importe les apparences, Hoseok n'était rien de plus qu'un jeune homme aux épaules trop frêles pour un monde comme celui-là.

𝙼𝚊𝚝𝚎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant