Tout à l'égout

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Crédits de la photo: The poetry of sewers-The Spectator

Michel avait commencé la journée comme d'hab. Un café qui ressemblait plus à de l'eau chaude qu'autre chose, puis le briefing de son boss.Il s'était mis bien celui là.Pas besoin d'aller tremper son cul là bas.Il l'avait déjà fait bien sûr, dans ce métier on devient pas chef comme ça, faut se mettre les genoux dans la merde, mais maintenant il était peinard et les ratés comme lui devait se taper les bas fonds de Paname. Paris, qui fait bander les japonais . Paris, qui est l'une des villes les plus romantiques du monde.

Le bémol, c'est que les gens chient, même quand ils sont en lune de miel. Et c'est lui qui est chargé d'aller nager là dedans pour vérifier que tout dégage bien.Certains soirs, il peut sentir la merde en particules se nicher dans son pif.Et pourtant, sans savoir d'où lui vient le courage, il continue.Il n'a pas le choix, il se le dit souvent. En même temps tout est si simple: de la démission à la plaquette de médocs servie avec du champagne, il y à autant de solution qu'il y à de conséquences.

Après le programme des réjouissances, il va à sa voiture, le dos courbé.Il se caille même dans son manteau.C'est pas étonnant.La flotte qu'il se prend chaque fois qu'il plonge là dedans ne sèche pas.T'aura beau foutre toute une bombe d'imperméabilisant, la flotte trouve toujours un moyen de rentrer.Les égouts ont une eau magique pour ça. Une fois calé dans son siège, Michel se regarde dans le rétro.Une gueule burinée, mal rasée, grosse, marquée, cernée.Une tronche d'alcoolo défaitiste.

Il reste fort pour sa fille Chloé . Avoir un enfant , ça vous donne de l'espoir dans les jours où les nuages sont gris . Pourtant , elle ne devrait pas être fière ... dire que son père bosse dans les égouts y'a mieux . Pompier , flic , médecin ...il n'a jamais fait les études pour ça . Il s'est éclaté quand il était jeune . Maintenant il se fait éclater .

Au début , même si c'était dur , il se disait que c'était temporaire . Ça n'allait durer qu'un temps . Après avoir été licencié , il avait du trouver autre chose pour sa femme et sa gosse . Alors il était prêt à tout prendre . Se battre pour sa famille , c'est être prêt à bosser dans n'importe quoi pour ramener à bouffer . Mais le n'importe quoi l'avait rattrapé . Un soir , une fois sorti des tunnels poisseux , il s'était arrêté à l'épicier du coin . Une bière . C'était pas dans ces habitudes mais quand il avait commencé à la boire , cette chaleur réconfortante l'avait aidée à ne pas péter un plomb .

Malheureusement , d'une bière, on était passé au pack . On contrôle pas ces choses là . C'est viscéral . Comme la branlette , la clope ou la drogue . On sait que c'est pas dingue mais on continue les conneries . On met du temps à voir que ça amoche les proches . Le dégoût qu'il avait pour lui même le forçait à se biturer de plus en plus et ça ne l'avait plus lâché . Sa femme , si . Ils s'étaient engueulés une bonne demi douzaine de fois mais là ça devenait trop . Les bagages étaient faits et il ne restait plus qu'un appartement vide puant la défaite .

Sa femme , qu'il avait aimé plus que sa propre vie (c'était pas difficile ) , était devenue un être froid du jour au lendemain , dédaigneuse , pensant à son propre bonheur et se foutant de sa descente aux enfers . Seule sa fille avait réussi à faire quelque chose de lui . Une courageuse , une battante cette gamine . Elle à vécu le Viet-Nam . C'est Rambo avec le visage de Vénus . Elle l'avait ramassé dans son salon , dégueulasse et abattu comme un avion , et avait prit le temps .

Appel au boulot , rasage , douche , bouffe , ect ect . En un week-end elle l'avait préparé à base de "The Show Must Go On " . Quand on à une raison de vivre , on y va à fond malgré les épreuves et les tristesses profondes . On ne s'arrête pas , comme un mort vivant . La preuve était sous ses yeux . Malgré toutes les engueulades , les cris , les pleurs , les crises de paniques , elle n'était pas restée à terre en gémissant.

Alors il était encore là aujourd'hui , à 6h du mat , dans son véhicule . La radio crachote le dernier Springsteen . Les rues sont désertes à cet heure là . C'est une étrange impression d'ailleurs , car à ce moment précis on peut voir comment la ville pouvait être pendant la nuit , plongée dans les ténèbres . Et pourtant , le ciel s'éclaire déjà . Il est le témoin de cette passation de pouvoir entre la lune et le soleil . Comme dans la chanson de Trenet .

Peu après avoir tourné au coin de la rue , il tombe sur sa plaque . Oui , c'est la sienne . Il l'a tripote assez souvent pour dire qu'il l'a possède, du moins, qu'il est possédé par elle . Après avoir délimité son espace de travail avec des barrières rouges et blanches , il souleva le couvercle en fonte du dernier cercle des enfers . Michel se disait systématiquement lorsqu'il commençait à descendre l'échelle métallique et regarder le ciel que c'était peut être la dernière fois qu'il le voyait. Étrange songe , mais pourtant réel. Il se demandait juste après si toutes les taupes parisiennes se faisaient la remarque. Tout est possible, on peut tous clamser sous une grosse couche de terre, symbolisant le futur de notre enveloppe corporelle , parmi la merde et les déchets.

Clang , clang , clang...bruit entêtant de ses bottes de sécu sur les barres de métal , descente plus que profonde, et arrivée . Comme d'hab , ça pue . Masque qui est plus qu'inefficace sur le nez . Il fait aussi sombre que dans le trou duc d'un dragon , se dit Michel . Lampe torche . Plan iconique à la X-Files, mais avec un cinquantenaire gros bide au bout . Et pas de monstre ou de tueur élastique .

C'est parti pour l'examen . Est ce que la merde se tient bien ? Bruit mouillé de ses pas dans la fange , la crasse , la boue/crotte . Est ce qu'il y à des canalisations qui ont pété? Non , pas l'impression..par contre ..un seul truc anormal . Et rien que ça , ça foutait déjà les jetons à Michel. Ses poils se hérissèrent , lui rappelant à quel point l'endroit lui était malsain au possible. Il avance en se disant que c'est sûrement un rat qui retourne un tas d'immondices putrides.

Au départ , il n'avait pas la lumière braquée dessus . Alors il entendait seulement des crépitements , des mouvements saccadés, comme celui d'une taupe soulevant un tas de terre. Ce n'en était pas une , mais définitivement , Michel s'aperçut qu'il était pas seul dans ces égouts. Comment était ce possible ? Les clodos peuvent pas forcer l'accès, ni personne. Et quand bien même ? Cet endroit est le plus dégueulasse au monde . Un dépôt de toute la merde humaine que l'homme doit gérer pour vivre comme un hipster . Merde , pisse , vomi , nourriture moisie , boissons immondes, papier , crasse informe ...

Il s'était plus ou moins habitué , comme si cet endroit était son purgatoire . Un jour tout s'arrangerait peut-être , mais en attendant il expiait ses fautes à cet endroit précis où tout terminait . Enfin..apparemment pas . C'était très étonnant de voir du mouvement dans les tas de bouses . Michel s'approcha , près à chasser un mulot . Ce n'en était pas un . Et ça , il ne le comprit jamais , où trop tard .

Pareil à un chat effrayé , le mouvement innommable bondit . Même pas de hurlement dans le tunnel arrondi , pas un écho . Michel essaya de mettre un taquet sur ce truc, horrifié. Cela n'eût aucun effet. Ce qui l'attaquait n'était pas solide.Enfin, ce n'était ni solide ni liquide. C'était un mélange des deux à la fois. C'était l'indicible.

Si l'on devait analyser ce qui s'infiltrait maintenant par tout les trous de Michel ; de la bouche en passant par le nez, les oreilles, l'anus, l'urètre..creusant au passage des trous dans sa chair qui n'existaient pas auparavant, rouvrant des cicatrices et étouffant tout espoir de survie; on dirait que ce monstre était simplement né de toute crasse laissée par les humains sur cette terre. A tout âge, à tout stade de l'existence.

Ce qui déchiquetait Michel dans un mélange de chuintements, craquements et sifflements, c'était les couches usagées, les tampons, les clopes, les joints, les mouchoirs, les restes de bouffes moississant longuement. Et maintenant, les tripes de Michel faisaient partie de ce même mélange putride.

D'ailleurs, son ex femme aillant déjà commencé à l'oublier, elle eut encore moins de mal à refaire sa vie , ailleurs. La seule chose qui lui faisait penser à lui , c'était sa fille , seul vestige de sa mémoire, qui le regretta chaque jour . Ses collègues furent désolés, mais sans plus. Les accidents dans les égouts, ça peut arriver après tout!

Notules Horrifiques ( Version Wattpad)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant