Partie unique

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Il était toujours là. Assis sur ce muret en béton, les pieds se balançant dans le vide d'une manière presque enfantine. Les gens ne le regardaient même plus. Ils disaient qu'ils ne voyaient pas l'intérêt de lui prêter attention. Que ce n'était qu'un inconnu parmi tant d'autre, une vie futile qui s'ajoutait aux milliards de vies futiles sur ce monde.

Mais je n'étais pas dupe. Je connaissais la vérité. Ils en avaient peur. Ils avaient peur de ce garçon parce qu'il était différent, parce qu'il fredonnait toujours le même air avec le regard perdu dans le vide, parce qu'il était seul, toujours. Moi, ces gens là, je les trouvais lâches. Je venais à peine d'arriver, qu'ils m'inspiraient déjà un dégoût insupportable. Ils esquivaient ce garçon comme la peste, juste par peur de l'inconnu. Juste parce que son comportement était différent, qu'il changeait de la norme imposée par la société. Et cela m'insupportait.

J'ai voulu aller le voir. Changbin m'a regardé d'un drôle d'air, et a répondu comme si c'était une évidence pour tout le monde :

- Il est fou, Chan.

J'ai haussé un sourcil.

- Je sais que tu es nouveau dans l'établissement, mais je pensais que tu savais. Il a été interné dans un hôpital psychiatrique pendant deux ans.

Je n'ai pas répondu tout de suite, prenant le temps d'assimiler l'information. J'avais raison. C'était bien sa différence qui les faisait fuir.

- Il est sorti, non ?

- Ça ne veux pas pour autant dire qu'il est guéri. Tu devrais t'éloigner de lui, on raconte qu'il aurait tenté de tuer sa sœur dans une de ses crises.

On raconte. On créé une histoire de toutes pièces, qu'on raconte ensuite aux gens qui l'assimilent sans réfléchir ne serais ce qu'un instant à si c'est vrai ou faux. Puis on colle une étiquette, comme ça. Sans preuves, sans rien qui montre que ce soit vrai.

Face à mon silence, la voix de Changbin s'éleva une nouvelle fois :

- Je ne mens pas, Chan.

Lui, il me connaît si bien. J'ai l'impression qu'aucune de mes expressions n'est un mystère pour lui, qu'il peut lire en moi comme dans un livre ouvert. J'aimerais qu'il puisse faire de même avec ce jeune "fou". Peut être qu'ainsi il verrait qu'il n'est pas aussi dangereux qu'il le dit. Car moi, j'en étais persuadé.

Mon ami m'a regardé d'un air inquiet. D'un air qui dit : "Je sais ce que tu vas faire, mais tu ne devrais pas le faire." Un simple regard qui vaut milles discours, sans un mot. Je n'aime pas ce regard. Il m'effraie bien plus que ce qui leur fait peur chez ce jeune homme.

Le lendemain, je me suis approché du muret. J'ai observé longuement la fine silhouette qui y était assise, ses jambes qui se balançaient au rythme d'une horloge dans le vide. Et seulement là, à l'observer avec attention, j'ai remarqué ses doigts. Ses doigts qu'il ne cessait de tordre comme le font les gens stressés, sans s'arrêter, comme guidé par une volonté incontrôlable.

Puis ce sont ses lèvres qui attirèrent mon attention. Celle qu'il coinçait entre ses dents à intervalle régulier, l'air anxieux.

Tic, tac.

Des doigts entremêlés, tordus au point d'en être douloureux.

Tic, tac.

Et il mordait une nouvelle fois sa lèvre, presque jusqu'au sang.

L'espace d'un instant, j'eus peur d'aller vers lui. Peur de sa différence, comme tous les autres que je critiquais. Ces mouvements répétitifs, nerveux, angoissants, ne faisaient que m'inciter à faire demi tour.

Broken || HyunchanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant