Tout au fond

Je pars

C'est fini, je m'en vais. Désolée, mais je ne peux plus lutter. J'emporte avec moi mes silences et mes peines. Je soustrais à vos regards mes souffrances et ma haine. Je suis lasse d'affronter. A ceux qui m'ont aimée, je veux leur dire merci, et que moi en retour je les aimais aussi. A ceux-là qui me pleurent, je veux les rassurer, leur dire que j'ai trouvé calme et sérénité, sur les rivages cuivrés de la Mer de l'Oubli. Ma tête était si pleine, si lourde de mes peurs. Je suis maintenant telle l'enfant que j'étais. Et je vis bien mieux aujourd'hui dans vos souvenirs, que je n'ai vécu, en vérité.

J'ai cherché avec furie, avec violence, l'amour et la reconnaissance, et jamais je n'ai pu emplir le trou béant creusé par mon avidité. Certaines des paroles que vous dîtes à mon compte furent si vraies, que je veux ici-même en citer quelques unes. Oui, je portais en moi un désert aride, où fanait tout ce que j'ai voulu faire pousser. Oui, je marchais sur un fil fragile, funambule malhabile au dessus d'un grand vide. Oui, je portais en moi une telle violence, qu'une étrange folie me faisait préférer le danger, la vitesse, la nuit et l'excentricité. Je n'ai pu me contraindre aux douceurs embaumantes d'une vie quotidienne et banale. C'est à l'âge de treize ans qu'a commencé le deuil de ma normalité. Sachez que je n'étais déjà plus que feu Laureline. Je marchais, je pensais, je dormais à côté de moi-même.

Excusez-moi mais je pars, excusez-moi mais je vous dis au revoir, et à jamais. Je pars c'est décidé. Je veux vous dire aussi que chaque coup porté a fait vaciller mon armure d'écorchée. Je ne suis pas faite pour ses guerres de regards. Et si je me repliais chaque jour un peu plus derrière les remparts de l'absence, c'était par honte d'exister; non par dédain pour vous, ou par témérité. Car mille fois je suis morte avant d'être morte. Et mille fois je mourrai.