Pandémonium

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Mon appartement se trouve rue Sainte-Cécile, dans le 9ème.
Il appartient à un vieil ami devenu membre du grand conseil de Pologne. Quand je suis arrivée à Paris, c'est lui qui m'a accueillie, hébergée et formée. Je lui dois beaucoup.
Quand il a été muté, il n'a pas voulu vendre l'appartement et m'a demandé d'y rester.
En octobre, ça fera deux ans qu'il est à Varsovie.
Tu me manques Victor. Si tu savais...
Ça a beau être mon "chez moi" depuis le départ de Victor, pour moi c'est toujours son appart'.
D'ailleurs, tout est resté à sa place, y compris ses piles de bouquins bizarres sur l'alchimie, l'usage de la magie dans l'Histoire médiévale, les runes, les créatures fantastiques...
Tout est toujours dans le salon, autour des canapés.
Souvent, quand je me pose le soir et que j'ouvre un de ses livres, je m'attends à le voir débarquer, mettre ses lunettes sur bout de son nez et m'expliquer certains passages ou me demander simplement mon avis sur tel ou tel chapitre.
Victor est comme un père pour moi. Il faudra que je l'appelle ce week-end.
J'arrive dans mon hall d'entrée et je prends mon courrier. Merde... Une lettre de l'avocat. Ah non, pas aujourd'hui. Je l'ouvrirai plus tard.
Je monte les escaliers tout en allumant mon téléphone. Au premier étage, ma vieille voisine, madame Chandey, s'apprête à partir. Je l'aime bien cette petite dame. Je m'arrête pour la saluer.

- Bonjour madame Chandey. Vous êtes de sortie ?

- Oh, bonjour mademoiselle. Oui, je vais voir mon médecin pour mes médicaments pour le coeur.

- Ah... Pourtant, gentille comme vous êtes, votre coeur devrait être en parfaite santé, lui dis-je en souriant.

Elle se met à rire.

- Vous savez, c'est depuis la mort de mon mari. Avant, je n'étais jamais malade. Dites, vous avez vu pour Notre-Dame ? Quel malheur !

- Oui, en effet, c'est très triste.

- Vous vous rendez compte... 500 ans qu'elle est debout et, en une nuit, pfft ! Des cendres... Comme quoi rien n'est éternel, hein...

- Oui, ça fait réfléchir, c'est vrai.

- Bon, j'y vais. Je ne voudrais pas arriver en retard chez le docteur.

- Prenez bien soin de vous, madame Chandey. Bon après-midi.

- Merci mademoiselle. Bon après-midi également. Au revoir.

Lentement, elle descend les escaliers.
Je l'ai toujours connue dans l'immeuble. Une fois elle m'a dit que ça faisait plus de 50 ans qu'elle vivait là. 50 ans...
J'ai du mal à réaliser. Moi qui ai passé ma vie à déménager...
Je me demande si un jour j'arriverais à me poser durablement quelque part, comme cette dame et son mari.
Pour moi, ça relève de l'extraordinaire de pouvoir vivre avec quelqu'un si longtemps. C'est à la fois beau et terrifiant.
Mais j'imagine que cela n'a pas dû être rose tout le temps entre eux. Peut-être qu'il était infidèle. Peut-être qu'elle ne le supportait plus mais ne disait rien. Je ne sais pas... L'amour est si fragile chez les humains, il résiste si mal à leurs problèmes, au temps qui passe... Est-ce qu'on se résigne à un moment donné ? Est-ce qu'on s'habitue simplement à la présence de l'autre ? Comme moi avec les piles de livres de Victor dans le salon que je veux laisser à leur place parce que je ne pourrais pas les voir ailleurs que là où je les ai toujours connus ? Parce que ça me rassure, parce que ça me rappelle tous ces bons moments passés avec Victor.
C'est peut-être ça... Au bout de quelques années, l'autre est comme une pile de livres qu'on veut laisser à sa place. Parce c'est comme ça que ça nous rassure, c'est comme ça qu'on aime sa présence. Et pas autrement...

Mon téléphone vibre. J'ai reçu un message vocal. J'arrive devant la porte de l'appartement. Je cherche mes clefs dans ma besace toujours aussi mal rangée. Après un peu de spéléologie dans les poches de mon sac, je parviens enfin à mettre la main sur mon trousseau. La serrure est un peu capricieuse. J'ai peur que la clef ne se brise un jour dedans. Je tourne délicatement et je suis enfin chez moi. Je suis épuisée...
J'en oublie mon portable et son message et je vais me servir un café. C'est fou l'effet que ça fait de se sentir chez soi... Tous mes muscles se relâchent et je n'ai qu'une envie : m'allonger un peu dans le canapé. J'attrape une tasse dans le lave vaisselle, je me sers mon allongé et je rejoins le salon... J'allume la lampe art déco préférée de Victor et je lance ma playlist Deezer sur l'enceinte connectée.

Requiem - Les Soldats de l'ApocalypseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant