« Voleuse ! Si j'te rattrape, j'te coupe les mains et les oreilles ! »J'escalade rapidement une devanture de boutique et, du haut de mon perchoir, tire la langue au commerçant que je viens de détrousser. Je soupèse la bourse bien remplie avec un clin d'œil dans sa direction et il redouble d'injures. Je me sais hors de danger, malgré les menaces de ma victime. Il n'y a aucun garde au Marché Noir, on se rend justice seul. Et si on n'arrive pas à rattraper son agresseur, on peut laisser tomber ou prier. Or, le corpulent négociant débarrassé de son bien n'arrivera jamais à me rattraper et me retrouver.
Je marche sur les toits un moment en songeant que ma victime doit être une des rares personnes de ce quartier à manger tous les jours à sa faim, sinon comment peut-il avoir un aussi gros ventre ? Je me demande si je ne vais pas y retourner pour voir où il habite.
J'accroche le fruit de mon larcin à mon pantalon. Quelques enfants et moi avons élus domicile au sommet d'une tour abandonnée. Apparemment, avant le Marché Noir, il y avait une grande ville prospère ici. Comme aucun de nous ne sait lire, nous n'avons pas pu nous renseigner plus que cela, les habitants du Marché Noir n'étant pas de grands bavards. Aujourd'hui, la cité est devenue le repère de toutes les pires crapules de ce monde et des mondes de cette galaxie. On y trouve des assassins, des voleurs, des trafiquants en tout genre, des hommes avides de puissance cherchant une ville à contrôler. C'est ainsi qu'on se retrouve dans une ville où monarchie, dictature et empire se succèdent une dizaines de fois dans l'espace de quelques jours. Pourtant, ce n'est pas comme cela partout. Au nord du Marché Noir, il y a Archelia, la cité interne. Ce n'est ni plus ni moins qu'un quartier mais les habitants vivent dans la richesse et ont fondé leur société. Ils ont érigé une muraille pour se séparer du reste de la ville et elle est très bien défendue. Derrière ces murs se cachent des politiciens influents d'autres mondes, les plus riches marchands de la galaxie ou des seigneurs de guerre à la retraite. De plus, ils ont le monopole du port, la côte se trouvant exclusivement au nord. A l'est, une muraille naturelle de montagne, au sud et à l'est, le désert à perte de vue.
Mais je sais que je n'ai pas toujours vécu ici. Je me souviens d'un monde où le soleil brillait longtemps, pas comme ici où on l'aperçoit jamais à cause de l'épaisse fumée qui recouvre toute la ville. Mais des fois, quand je monte sur un toit à la limite de la ville, je vois le sable du désert briller grâce au soleil. Je revois le ciel bleu et les oiseaux volant librement, chantant joyeusement. Ici, il n'y a que des mouettes qui crient tout le temps et qui sentent le poisson pas frais. Remarque, c'est mieux ça que l'odeur de pourriture et d'excrément qui règne dans les rues. L'odeur... Là où je viens, en ville, cela ne sentait pas très bon non plus, un mélange de nourriture et de sang qui m'écœurait. En campagne, c'était plus agréable. Toutes les fleurs, tous les fruits, les animaux...
Je soupire en me remémorant ces moments. Au moins, il me reste quelque chose à quoi m'accrocher, qui me permet de garder la tête haute et la volonté de vivre. En regardant autour de moi, je vois souvent ces hommes et ces femmes brisés, décharnés. Ils n'essayent plus de survivre et généralement, je les retrouve le lendemain, morts, des membres en moins. Un jour, je partirais d'ici, je deviendrais forte et indépendante. C'est la promesse qu'on s'est fait, mes compagnons et moi. Nous deviendrons riches.
A cinq, nous y arriverons facilement. Parce que j'ai une bande avec moi. J'en suis la cheffe, même si je suis la benjamine avec mes huit ans. Alia a plus de dix ans mais elle n'a pas les épaules pour diriger la bande. Quand aux trois autres, ce sont encore des enfants immatures. Mais s'ils se sont rassemblés autour de moi, c'est surtout parce que j'ai une bonne aura, comme dirait Mano. J'ai pas trop saisi le principe d'aura (un voile invisible autour de nous ? N'importe quoi!) mais j'ai compris que j'ai quelque chose que tout le monde n'a pas. Alia appelle ça le charisme. Aura ou charisme, c'est pareil : les gens se sentent rassurés avec moi et attendent que je leurs dise quoi faire. Je n'aime pas être charismatique. Ca m'oblige à m'occuper de ces personnes qui sont devenues dépendantes. Si un beau jour je venais à mourir, est-ce qu'ils arriveraient à s'en sortir ? Mano, oui, sans aucun doute. C'est un demi loup avec un incroyable instinct de survie. Aran, s'il fait un effort. En tant que descendant d'une famille de géants, il devrait y arriver. Mais Alia et Jok ? Non. Même si Alia a un pouvoir qui lui permet de faire voler les objets (elle appelle cela de la télékinésie), elle refuse généralement de s'en servir pour pas attirer des gens plus puissants qu'elle. Mais le monde est fait ainsi, nous devons nous débrouiller tout seul. C'est pour cela que quand je dis que nous serons riches ensembles, je mens. Je ne me vois pas passer ma vie avec eux. Je sens quelque chose en moi qui m'interdit de trop m'attacher à eux. C'est comme quand je vois des gens mourir de faim dans les rues et que je ne m'arrête pas pour leur donner une des trois pommes que je viens de voler. Remarque, personne d'autres ne le fait à part les religieux. Mais justement, pourquoi les hommes et femmes de foi donnent et ne gardent pas tout pour eux. Je me suis renseignée et ce n'est pas toujours leurs dieux qui leur ordonnent de le faire. Quand j'ai posé la question à une vieille femme aussi ridée que la pomme de terre qu'elle tenait, elle m'a regardé avec un air qui ne m'a pas plu et m'a répondu en souriant :
« Ça s'appelle l'empathie, jeune fille. Les hommes sont égoïstes mais pas foncièrement mauvais. En repoussant le mal qui les corrompt, ils peuvent faire apparaître le meilleur d'eux-même et distribuer l'espoir autour d'eux. »
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La quête de l'Alchimiste : Origine
FantasyElle aurait aimé être une enfant normale, pleine de vie et joyeuse. Elle aurait préféré vivre dans un petit village ou dans une grande ville. Ressentir tous les sentiments sans filtre aucun, ça doit être merveilleux. Mais voilà, Angélique n'a pas e...