Calendrier de l'Avent (2019)

5 - Zerano, Souvenir des nuits d'hiver

Sa tête posée contre son torse, il se souvenait. Il ne voyait pas les petits enfants qui couraient dans le jardin enneigé, alors que son regard était dirigé vers la fenêtre.

Il voyait Adrien qui lui tendait une main maladroite et peu assurée, alors que pourtant ils se connaissaient depuis des années à travers l'écran. C'était le 24 décembre 2011, ses parents avaient accepté qu'il vienne dîner avec eux pour noël, plutôt que seul dans son minuscule studio. Il faisait un temps de chien ce soir là, une bruine froide humidifiait tout, les nuages cachaient le ciel étoilé, et le froid les glaçait. Heureusement ils entrèrent rapidement dans la maison, et le repas fut savouré dans une ambiance chaleureuse et festive. Les parents d'Adrien l'avait beaucoup questionné, lui le mystérieux jeune homme dont leur fils n'arrêtait pas de parler, mais ça ne le dérangeait pas.

Il cligne des yeux, toujours perdu dans ses souvenirs, Adrien est à nouveau là. Légèrement plus grand, plus bâti également. Une légère barbe mal rasée mange ses joues, et il le prend rapidement dans ses bras avec un sourire inquiet. Ils étaient en couple depuis à peine quelques mois à ce moment là, ça devait donc être noël 2015, et les parents d'Adrien l'avaient comme à leur habitude depuis quelques années invité à venir passer le réveillon avec eux. Cette année, les aînés d'Adrien seraient là également, ils s'étaient libérés et avaient pris la peine de revenir dans leur région natale. Lui et son petit ami s'étaient résolus à leur annoncer ce jour là leur sexualité et leur couple. Ils savaient tous deux que tout devrait se passer facilement, et ce fut le cas, mais il se souvenait qu'ils avaient malgré tout particulièrement appréhendé l'annonce. La famille d'Adrien était presque devenu la sienne avec les années.

Encore un nouveau souvenir, ils sont à l'intérieur cette fois, blottis l'un contre l'autre devant le feu. C'était la remise des cadeaux, et Marie Thérèse, la mère d'Adrien, s'était penchée vers eux. Elle leur avait tendu avec un léger sourire un minuscule paquet, leurs regards avaient alterné entre celui-ci et son visage, jusqu'à ce qu'Adrien le prennent doucement. En l'ouvrant, ils avaient découvert la miniature en papier d'un lave-vaisselle. Il se souvient encore du regard perturbé qu'ils avaient échangé, avant qu'elle ne leur dise de l'ouvrir. Ce qu'ils c'étaient empressés de faire, maladroitement, découvrant inscrit au fond « Il est chez vous ». Le soulagement après ce Noël 2017, il se souvenait qu'Adrien a l'époque l'insupportait énormément a ne jamais faire la vaisselle depuis qu'ils avaient emménagé ensemble. Ce souvenir lui tira un sourire attendri.

Quelques années passent encore tandis qu'il rêvasse, pour arriver au triste nouvel an 2024. Les parents d'Adrien leur avaient laissé la maison pour inviter leurs amis tandis qu'eux se rendaient à une réception chez d'anciens collègues. Il se souvient encore des rires, de l'alcool, de la bonne humeur de tout le monde qui se brise en un instant. Adrien sort de la piste de danse improvisé pour répondre à un appel, le laissant en plan. Il se précipite derrière lui jusque dans le jardin où il s'était isolé pour décrocher. Il le trouve tremblant, tête basse, et se précipite pour l'enlacer. Il se souvient parfaitement de la voix déchirée de son amant bégayant qu'ils ont eu un accident, et qu'ils ont très peu de chance d'en réchapper. Il doit mettre fin à la fête et faire rentrer tout le monde chez eux tandis qu'Adrien se précipite à l'hôpital. Il l'a attendu, dans le froid glacial, sur les marches du perron. Il s'est peut-être endormi dehors ce soir là, avant qu'Adrien ne le rejoigne à l'aube, hagard, brisé. Son père est mort sur le coup, sa mère dans le coma. C'était une bien triste fête ce soir là.

L'année suivante fut cependant merveilleuse pour eux deux. Lui finissait enfin sa thèse tandis qu'Adrien trouva finalement un poste stable, qu'il garderait des années durant. Ils s'installèrent ensembles dans la maison des Nougaret, qui revenait à Adrien en l'absence de l'autre légataire, sa mère, ses frères et sœurs étant déjà installés. Cependant, après sept mois de coma, elle émergea. Sa colonne vertébrale avait été touchée, et elle était condamnée au fauteuil pour le reste de sa vie, mais c'était un miracle. Il fut décidé qu'il resterait tout de même vivre à la maison, puisque qu'ils avaient revendu leur précédent appart', et le couple et la mère formait une petite famille heureuse. Avec un doux sourire, il se remémora la demande d'Adrien, ce noël là. Ils étaient tous les trois sortis sur la terrasse, il faisait bon pour un soir de décembre, le ciel était clair. Ils étaient sortis à la demande de Marie-Thérèse, qui souhaitait voir les étoiles. Elle avait tapoté l'épaule de son fils qui s'était penché vers elle. Ils avaient échangé à voit basse sans qu'il puisse comprendre ce que mère et fils se disaient, avant qu'Adrien ne mette le genou à terre devant lui, sortant un écrin et une alliance simple mais belle de sa poche. Il lui passa au doigt la bague de fiançailles sous le regard ému d'une mère qui était un peu la sienne aussi.

Il ouvre les yeux sur une nouvelle scène, un soir de printemps dans ce même jardin, le 27 avril 2027, après douze ans ensembles dont plus d'une année de fiançailles, ils avaient enfin décidé de se marier. Ils étaient passés à la mairie dans l'après-midi, tous deux dans leur beau costard, rayonnant de bonheur. Rayenne avait été son témoin pour ce merveilleux jour. Pour la fête, ils avaient voulu faire ça ici, comme presque toute leur vie, avec leurs amis. Le domaine familial était suffisamment grand pour tous les accueillir, et ils y étaient bien, chez eux. Ça avait été une soirée mémorable, même si son mari, entraîné dans l'ivresse par les autres, ne s'en souvenait peut-être plus totalement.

Puis, ses souvenirs s'accélérèrent et se mêlèrent. La mère d'Adrien les aidaient à rédiger leur demande d'adoption, ils avaient décidé de former une famille. Rayenne acceptait d'être le parrain de leur petite fille. Marie Thérèse s'éteignit dans un dernier sourire à ses enfants et lui, murmurant qu'elle rejoignait leur père et qu'elle veillerait sur eux. Leur fille entre en maternelle quand en urgence on leur confie une seconde gamine, d'abord de manière temporaire avant qu'ils ne demandent à l'adopter. On le leur a accorder. Il est le témoin de Rayenne lorsqu'il se pacse avec Andreas, son petit-ami. Il écoute les plaintes de son meilleur ami qui ne comprend pas pourquoi ils se sont seulement pacser alors que lui aurait souhaité l'épouser tandis que ses filles rentrent au collège. Il lui fait remarquer que le romantisme n'est pas ce qui étouffe son amant, et peut-être qu'il n'a simplement pas jugé ça utile, et qu'il devrait donc lui en parler. Ainsi, Rayenne mît genou à terre devant son petit ami et à peine un an après avoir contracté un PACS, voilà qu'il est à nouveau témoin pour leur mariage cette fois. Sa seconde fille décroche son bac avec mention, à la fierté de ses pères, tandis que la première part vivre à Paris avec son petit ami pour ses études. Il se souvient qu'Adrien a faillit exploser en apprenant que sa fille voyait un homme, et quand elle leur a annoncé à à peine vingt ans qu'elle était enceinte et qu'elle désirait garder l'enfant, il avait vraiment cru que son mari serait capable d'étrangler leur gendre. Mais celui ci était un compagnon fidèle, et leur fille était heureuse...

Dehors, Astrid, la plus âgée de leur petits-enfants, dirigeait la création d'un immense bonhomme de neige avec ses trois petits frères et ses deux cousins. Doucement, deux lèvres douces se posèrent sur son front ridé, et il releva une face heureuse vers les beaux yeux bleus, délavés et doucement plissés, de son mari.

« À quoi tu pensais ?

– À nous. À notre vie... C'était bien...

– C'est vrai... Tu sais, j'espère mourir un soir de Noël.

– Je t'interdit de me laisser seul, Adrien Simon Marie Nougaret. On s'endormira ensemble. Je t'aime...

– Je t'aime aussi... Pour toujours et à jamais. »