Alice

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Je ne sais plus ou aller, ma vie n'a plus de sens et je n'ai plus la force de lui en trouver. Je me perds en moi-meme, dans le vide. Ce vide qui m'emplit tellement que ça déborde, qui m'entoure, qui m'étreint. Ce vide qui, lors d'un jour de grisaille il y a quelques années, m'a rendu visite ; puis qui s'en est allé. Naïve, je m'en suis crue débarrassée. Pourtant bien vite il m'a retrouvée. Depuis ce moment, inlassablement, inévitablement ; il s'en va, puis il s'en vient ; on ne l'attend jamais mais il nous revient, il nous rattrape, il me rattrape, encore et toujours. Je dis vide mais ce n'est qu'un leurre, je dis vide car rien ne correspond, rien ne décrit cette sensation. C'est un vide pesant, un vide intransigeant. Un vide qui prend toute la place, mais c'est peut-être la définition du vide, ou du moins ça devrait l'être. Après tout, on nous apprend à l'école (certes moi c'est au lycée, enfin le peu que j'y mets les pieds) que l'espace est constitué de vide. Ainsi, même si on ne le voit pas, il est majoritaire et prend toute la place tout autour de notre planète. Aussi nous ne sommes rien, des êtres minuscules, quasi innexistants, perdus dans une immensité de vide.

Je referme mon cahier, ce tout petit carnet qui renferme mes plus grands secrets, ces pensées que je dois cacher au monde pour avoir l'air d'aller bien. Dehors, ils doivent me croire heureuse, c'est le but que je me suis fixé. Pour cela j'enfile mon masque fait du plus beau sourire qui soit, plus je suis triste au fond de moi, plus je souris. Ainsi le peu de proches qu'il me reste ne s'inquiètera pas, ou du moins ils me laisseront tranquille... On sent que ça ne va pas mais ça nous arrange de nous leurrer, c'est dérangeant pour beaucoup de voir quelqu'un sombrer à petit feu sans rien pouvoir y faire, mieux vaut l'ignorer... C'est fou, j'ai beau avoir fermé mon carnet, je continue à me perdre dans le flot de mes pensées. Pour changer...

Je regarde ma montre, il est 18h57.

Bon aller Alice ! Gaëlle ne va pas tarder à passer, ça fait déjà plus de 10 minutes qu'on vous a appelées pour mettre le couvert... Ronan et Véronique ne doivent pas être très contents... Je risque de ne pas avoir le droit à l'ordinateur, encore une fois. De toutes manières peu m'importe, je n'ai rien à en faire. Sauf... Merde ! Les devoirs ! J'oublie toujours... Mais là c'était important ! J'avais un exposé à faire !! Le prof. Va me tuer. Tout le monde va rire ! J'ai tout raté ! Jamais. Je n'y. Arriverai. Jamais. Jamais. Jamais. Débile. Débile ! Débile ! DÉBILE !

J'ai crié. Ma tête me fait mal. J'attrape une feuille au hasard.

Inspire, expire, déchire. Inspire ; expire ; déchire. Inspire. Expire. Déchire. Inspire... Expire... Déchire. C'est bon. Je suis calme. Gaëlle est entrée, elle me regarde.

"Tu veux en parler ?" Elle s'inquiète, je peux le sentir.

"Non." Je souris mais mon ton est cassant, elle n'avait qu'à pas être là, personne ne lui a dit d'entrer.

"Ramasse ça et dépêche toi, ils nous attendent."

Je m'exécute sans la regarder. De 2 ans ma cadette, Gaëlle est bien plus mature que les autres filles de son âge. On n'a pas vraiment le choix ici en même temps... Nous sommes devant la salle à manger, je m'arrête, j'ai peur.

"J'ai mis le couvert ne t'en fais pas." Elle me fixe comme si elle voulait quelque chose.

"Je suis là tu sais... Tu peux me parler..." Elle murmure en me regardant dans les yeux. J'acquiesce, je le sais. On rentre.

On est amies depuis plus de 5 ans, depuis que je suis arrivée ici. Je pleurais, demandant ma maman. Elle s'est assise à côté de moi et m'a serrée dans ses bras. Elle a toujours été là pour moi depuis, nous étions un peu "Alice et Gaëlle contre le reste du monde !", je n'étais plus seule. Mais... Ces derniers temps, c'est comme si un mur nous séparait. Certes je vais au lycée et elle au collège, mais nous pouvons toujours nous voir ici, au foyer. Non. C'est beaucoup plus flou, beaucoup plus vague... C'est comme si je la pensais incapable de comprendre ce que je ressens... Ou disons plutôt qu'elle comprendrait mais qu'elle aurait peur. Et puis elle risquerait de souffrir... C'est hors de question, je dois la protéger. Je dois me montrer forte, pour elle. C'est pour cela que je m'isole, pour la protéger... De toutes manières mieux vaut que j'arrête de moi-même avant qu'elle ne parte d'elle-même... Je ne veux pas la perdre. Que dois-je faire pour la garder, pour la faire rester ? Je veux que tout redevienne comme avant. Mais comment on fait ? Comment on repart en arrière ? Comment on oublie tout ? Tout ce qui nous a fait souffrir, et tout ce qu'on a fait... Si je ne fais pas attention elle s'en apercevra . Tu sais que c'est mal Alice, tu le sais... Je dois rester seule.

Où suis-je ? Dans ma chambre. Quelle heure est-il ? 21h13 ?! Encore une abscence... Ca m'inquiète de plus en plus... Je devrais en parler... À qui en parler ? Tu n'as personne. On ne voudra pas te croire.

Pour tout le monde je ne suis qu'une tête de linote ; une fille "un peu dans la lune", "à côté de la plaque" et "perdue dans ses romans". Je ne sais pas si je suis dans la lune mais ailleurs ça c'est certain ; j'oublie tout, à part ce qui m'intéresse ou qui a attiré mon attention. Je n'écoute pas longtemps quand on me parle et surtout, je suis de façon sûre et certaine, perdue dans mes romans. Les gens adorent d'ailleurs m'appeller comme mon homonyme, Alice au Pays des merveilles. Je n'aime pas particulièrement ce surnom mais il est vrai que je lui ressemble. Ses songes sont pour elle des faits avérés et je confonds souvent les miens avec la réalité. En plus quand je suis arrivée, je ne portais que du rose. Rien d'autre. Une petite robe à carreaux rose vif et saumon, un noeud dans les cheveux, c'est tout ce qu'il me restait et tout ce à quoi je m'accrochais à cette époque. Aujourd'hui c'est toujours ma couleurs préférée mais je ne peux plus me permettre d'en porter autant, je dois passer inaperçue.

Bon c'est bientôt le couvre feu, je n'ai pas le temps de fermer mes volets. Tu sais qu'il faut le faire Alice, tu te connais... Il faut que je me dépêche. J'ouvre le deuxième tiroir à gauche de mon bureau pour en sortir mes lames, mes précieuses petites lames...

Qu'ai-je encore fait de mal aujourd'hui ? Je me déshabille.

Déjà je suis arrivée en retard en anglais, ça vaut bien 1 trait. Ensuite, j'ai fait 6 ou 7 crises, disons 3 chacune, dans le doute ce sera 21. Je n'ai plus de place sur mon bras, il saigne, on va passer à l'autre. Reprenons... Ce midi j'ai mangé seule, je sais que c'était ma faute alors faisons en 5. C'est plus difficile avec ma main gauche, je tiens mal ma lame et elle coupe moins bien. Je vais appuyer plus sinon ça ne saigne pas. Je n'ai pas travaillé mon violon non-plus, je vais prendre du retard mais je n'en avais pas le courage... Liam ne m'a pas adressé la parole, il me manque, si seulement il était resté... Je le dégoûte, mes cicatrices le dégoûtent... J'appuie de plus en plus, de plus en plus vite, c'est beau, je ne compte plus, je me sens vivante, je me sens libre. Ça coule, j'aime ça. Sans m'en rendre compte je suis passée aux cuisses. C'est mieux, plus facile, plus profond. Je voudrais continuer toujours, ça me soulage, ça m'apaise. Je dois arrêter, c'est monstrueux. Je suis monstrueuse, je suis un monstre. Je voudrais juste être libre, voler... Il fait beau, le ciel est dégagé, les étoiles brillent mais moi je suis coincée là dans cette vie que je n'ai pas choisie, je suis un monstre, je suis condamnée. Je suis à ma fenêtre, quand me suis-je approchée ? Peu importe, je ne mérite pas tant de beauté, personne ne m'aime, il doit bien y avoir une raison... Les étoiles sont belles, elles m'aimeront... Je glisse, je vole, je suis libre... Non. Je tombe, j'ai peur.

J'aurais dû fermer mes volets.

La prison des bonheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant