R+E : leurs initiales

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L'histoire commença en haut d'un pont.

Non, il n'y avait point d'Homme qui avait trouvé là la solution pour mettre un terme à ses souffrances, point de tristesse, point de peine.

C'est le cœur qui avait amené l'individu ici et c'est l'amour qui donnera lieu aux événements suivants.

Au moment même où notre récit commença, il sortit un petit couteau de la poche de son pantalon. Le garçon s'approcha de la planche, qui avait bien changé depuis son installation il y a des années de cela. Le passage du temps y était visible. Usée par les intempéries et par tous ces jeunes gens qui s'étaient amusés à y graver des mots vulgaires, des dessins à la signification obscure, et par les amoureux, leurs initiales. Et ce dernier type, c'est justement ce que le garçon s'apprêtait à graver dans le bois.

Il empoigna plus fermement le couteau, la lame brillait sous le soleil de cet été caniculaire.

La planche ne le montra pas grande résistance, et après un petit temps d'effort, la première initiale fut achevée. Un R, maladroit et tordu était désormais perdu au milieu de toutes les autres lettres. Mais le garçon ne s'arrêta pas là. Aussitôt, il appuyait à nouveau le canif contre le brun. À la lettre gravée de travers s'ajouta un plus et une autre initiale.

Et alors que la scène commençait déjà à changer, il y a tout juste le temps d'apercevoir la deuxième lettre. Ses courbes étaient étrangement droites et plus profondément inscrites dans le bois. Éclairé le soleil de cette fin d'après midi, un E était désormais visible.

On se demandait alors à quelle fille le garçon peut bien dédier ce dessin. Peut-être Elizabeth, sa voisine de littérature, Edith, en chimie, ou peut-être Evelyn, une camarade de maths.

Ce soir encore, la nuit tombera et le soleil se lèvera sur la petite ville de Derry, comme toujours. L'adolescent amoureux rangera son couteau et repartira chez lui à vélo. Mais pour l'instant, Richie Tozier admirait les deux initiales.

Derry était une bourgade commune à tant d'autres, où durant l'été, les enfants sortaient pour jouer dehors avec leurs amis. Ils enfourchaient leurs vélos, les lunettes de soleil sur le nez et les cheveux dans le vent, se donnant rendez-vous pour passer toute l'après midi. Le groupe d'amis se retrouvait dans les friches, dans leur cabane souterraine, à discuter, à rire, à profiter pleinement de leur adolescence. Durant ses chaudes journées, Stan, Ben, Mike, Bev, Bill, Eddie et Richie s'amusaient.

C'était des adolescents, comme tant d'autres, dans une ville des États-Unis, comme tant d'autres.

Et cette histoire aurait pu en être une parmi tant d'autres, si elle n'avait pas eu lieu à Derry.

Si la ville ne renfermait pas de si sombres secrets. Si elle n'était pas construite sur des égouts, dont le chantier n'avait jamais été complètement achevé et dont tous les plans s'étaient envolés. Si dans ses tuyaux, dont personne avait la moindre idée d'où ils pouvaient bien aboutir, un clown rouge se cachait.

Si... il n'y avait pas eu Ça.

À l'origine, il n'y avait qu'un petit bateau jaune, puis l'eau qui l'avait amené dans les égouts. Georgie avait eu la surprise d'y trouver un clown, souriant, lui proposant de lui rendre son navire. Bill, lui, avait eu la surprise de trouver son petit frère mort et son ticket d'entrée dans la face cachée de sa ville natale.

Chaque membre de la bande avait vu sa propre version du clown. Ensemble, ils étaient entrés dans la maison abandonnée, où chaque pièce était une autre occasion de se prendre dans la folie. Mais ils étaient tous sortis de là vivants, et au complet. À ce moment encore, la terreur du clown n'avait pas encore possédé Stanley. Vivants peut-être, mais traumatisé par l'image de Ça.

Ils étaient peut-être meilleurs amis, ils avaient peut-être construit un abri souterrain, ils avaient peut-être vécu des choses qu'aucun adulte ne serait jamais capable de croire, ni même d'imaginer, mais le pouvoir de Ça avait été plus fort.

Il y avait eu une dispute. Tous s'étaient mis en colère, et pas un seul n'avait été capable de prendre conscience de ce qu'ils s'apprêtaient à perdre. Ni Eddie, d'habitude en pleine crise d'asthme face à une dispute, ni Bill, qui savait apaiser les conflits, ni Beverly, la plus raisonnée du groupe. Il y avait eu des cris, même des hurlements, et au final, tous enfourchèrent leurs vélos, les lunettes de soleil sur le nez et les cheveux dans le vent, partant chacun de son côté. Le groupe d'amis se retrouvait séparé.

Au début, Richie était en colère, puis, après quelques jours, avait réalisé à quel point ses amis lui manquait. Il se sentait extrêmement seul et les journées d'été d'habitude si amusantes étaient bien ennuyeuses. Mais surtout, il réalisa qu'il tenait à un de ses amis un peu plus qu'aux autres.

Un garçon, au corps chétif, aux tâches de rousseurs, aux cheveux châtains plaqués et au sourire charmant. Un garçon, à l'inhalateur, à la mère sous protectrice qui le gavait de médicaments et dont cette dernière était très souvent victime de ses blagues. Un garçon, avec qui des regards étaient partagés, avec qui les blagues étaient plus osées, avec il avait toujours le plus hâte de passer du temps. Un garçon, dont Richie s'était rapproché ce dernier été, dont son amitié était différente que celle qu'ils partageaient avec tous les autres membres de sa chère bande.

Et lors de ses journées trop calme, lorsqu'il s'ennuyait - c'est à dire, à peu près tout le temps - il ne cessait de tourner et de retourner cette même question dans sa tête : sous leur amitié si fusionnelle, ne se cachait-il pas un autre sentiment ?

Revenons donc à ce fameux jour au bord du pont.

Ce matin, pour se changer les idées, et sous les supplices de sa mère telles que : « Richard regarde comme il fait beau dehors, sors un peu ! », il quitta sa chambre.

À vélo, il se dirigea vers la salle d'arcade, où il enchaîna les parties de jeux vidéos. Il jouait avec un garçon aux cheveux blond et aux yeux bleus. Richie se rendit compte que ce garçon lui plaisait bien. Et alors qu'il était en pleine réflexion pour savoir si aimer une fille ou un garçon était vraiment deux choses très différentes, Henry Bowers fit son entrée. Le garçon blond changea immédiatement d'attitude, évidemment, la brute était son cousin.

Ce jour là, Richie se fit insulter pour la première fois par Bowers, enfin ce fut la première fois que les insultes lui firent aussi mal. C'est bombardé de « sale fiotte » « pédé », et bien d'autres monstruosités de ce genre, qui étaient capables de briser bien des vies, qu'il s'enfuyait de la salle d'arcade, et qu'il n'y remis plus jamais les pieds seul.

Enfourchant son vélo, il pédala plus vite qu'il n'en avait jamais été capable, craignant peut-être que geôlier ne le rattrape. Et même s'il n'en savait encore rien, Richie faisait bien de se méfier, car Henry savait devenir extrêmement dangereux. Au point de casser le bras du petit Kaspbark quelques jours plus tard.

Il ne s'arrêta qu'une fois arrêté au pont. Il en était désormais certain, il aimait les garçons. Malgré les insultes et les homophobes qu'ils savaient qu'ils allaient avoir à affronter au cours de son existence, ce n'était pas un problème, ce dernier se trouvait ailleurs. Lui, il aimait Eddie, mais est-ce Eddie l'aimait ?

Peut-être qu'un jour, il oserait lui déclarer sa flamme et alors, il lui montrerait leurs initiales.

Peut-être même qu'ils s'amuseraient à les graver ailleurs sur la planche de bois, ou sur le tronc d'un arbre dans les friches. C'était certes des trucs niais, que seuls amoureux s'embêtait à faire. Mais si un jour il s'embêtait avec Eddie à faire tous ces trucs niais d'amoureux, il serait le plus heureux.

Oui, peut-être qu'un jour, Eddie verra cette marque. Peut-être qu'ils se mettront ensemble, qu'ils se tiendront la main, qu'ils s'embrasseront. Peut-être qu'un jour, Richie et Eddie s'aimeront.

Richie ne connaissait encore en rien ce que leur réservait l'avenir, il se contentait d'être un adolescent amoureux. Alors, avec son petit couteau, sous les rayons de cette journée d'été, le joie le faisant sourire, il grava les deux initiales dans le bois.

Le E n'était pas destiné à Elizabeth, ni à Edith et encore moins à Evelyn. Ni même à une fille. C'était d'un garçon, au doux nom de Eddie Kaspbark, dont Richie était tombé amoureux.

R + E - Recueils de p'tits reddiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant