Lundi

Changement

Je crois que j'ai besoin de changement. Au fond c'est pour ça que je suis venue ici. Je voulais découvrir la vie. La vraie, la bonne. 

Il y quelques années, j'ai parlé à Marc. Il m'a dit de partir, de fuir tout ça. Un autre endroit, très loin. Et je me suis posée des questions. Des tonnes depuis lors. Comment vais-je faire? Sombre idiote, tu ne sais même pas comment repasser. Et aujourd'hui, je suis ici, loin de mes amis, de mes parents, de mon chien. Loin de ma famille. Loin de Lui. Loin de moi? Je voulais partir en Angleterre. Putain d'inflation. Je reste en France. Mais loin. Trop loin pour ne pas revenir. Est-ce la bonne solution?

2008. C'est là que ça a commencé, pour moi du moins. A vrai dire, cela fait 3 générations que c'est commencé. Mais je n'ai pas su tout de suite. Prenons l'histoire du tout début alors. 

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Une histoire d'amour. Un mariage. Une vie épanouissante. Des responsabilités. Un peu d'alcool. Un enfant. Plus d'alcool. Deux enfants. Trop d'alcool. 

Alcoolisme.

Une femme intelligente. Aimante et aimée. Respectée et respectable. Mais l'impasse de son mari alcoolique. Que faire. Le quitter? Avec des enfants en bas-âge? Couper le schéma familial parfait et risquer de perturber ces petits bouts-de-chou? Ou rester et endosser. Décider de prendre le taureau par les cornes. Se battre. Rester pour lui, pour le sauver. Rester pour eux. En pensant les aider. 

Mardi. 17h04. Début janvier. Début de soirée froide et sombre. Une certaine épaisseur de neige recouvre la route et le trottoir. Un garçonnet de moins de 11 ans environ, marche, seul sous la neige, s'empressant de chercher son père dans les bars de la ville. C'est déjà le 3ème dans lequel il rentre. Il l'aperçoit, assis au bar, un verre d'alcool devant lui, entouré de 3 amis, trop alcoolisés pour dire des paroles censées. Le petit s'avance,  tire la manche de son père, qui daigne à peine le regarder. Il lui demande poliment de venir avec lui, de rentrer à la maison, car sa femme s'impatiente. De plus il a du travail à faire, et doit s'occuper de son autre fils, en bas âge. Le père refuse, et avec un mouvement de recul, éloigne le garçon de lui. Il insiste en essayant de prendre son père par le bras. Ses 3 amis le repousse dans des injures grossières et resservent un verre à l'homme ivre, gisant sur le bar.  Le jeune homme s'énerve, insulte ces personnes nocives et dangereuses pour son père et l'équilibre de sa famille. Les 3 hommes ne rigolent plus.

Il est maintenant 17h16 et une bagarre éclate dans ce bar pourtant bien famé.

Trouvez-vous normal qu'un garçon de 12 ans en soit venu a se battre, à mains nues mais également avec des tabourets de bar contre des hommes, 3 fois plus âgés que lui, mais 10 fois moins matures, afin de sauver son père d'un avenir incertain et d'un mort certaine? Personnellement je ne trouve pas. 

Le jeune garçon, devenu jeune homme, va connaître un tournant dans sa vie. De nature sociable, aimable, introvertie et courageux, il va petit à petit devenir virulent, et même violent. Mais savez vous dans quel but? Protéger son frère et sa mère. Les aider. Sa mère avait vécu beaucoup de choses. Trop pour l'amour qu'il pouvait lui porter. Et son frère? Trop jeune et innocent pour lui. Il se devait de gagner cette bataille. Pour sa famille. Alors il s'opposera à la figure emblématique et imposante qu'était son père. La machine était lancée. 

Jolie leçon d'humilité, non? 

Lundi. 07h55. Fin juin. Le jour du bac était arrivé pour le jeune homme en devenir. Ca y est! Le combat était gagné. Son père s'en était sorti, avec bien du mal. Il n'avait plus le droit de toucher à une bouteille d'alcool de sa vie entière. Sa mère avait beaucoup travaillé. Etant dans l'enseignement public comme son mari, mais à un poste moins important, elle était sans cesse débordée, même quand elle revenait à la maison. Elle a sans doute trop laissé baigner ses enfants dans le désespoir de leur père, pour trop se concentrer sur sa carrière professionnelle. Peut-être pour faire bonne figure? Son frère avait grandi, en souffrant moins que lui n'avait souffert. Sa mission de protection était accomplie. Après un collège et un lycée difficile, dû à des moqueries ou encore de la vengeance gratuite à cause du poste à responsabilité de son père et sa réputation; après avoir subi des années durant la lourdeur de son nom de famille, la lourdeur d'une étiquette qu'il ne méritait pas, que cela soit de la part des élèves où de ses professeurs ayant tout fait pour faire rater ses études, il en avait terminé. Après avoir subi l'injustice de notation d'un système corrompu par la haine humaine, l'ayant poussé à devenir de plus en plus violent et ayant marqué une marque indélébile en lui, ces deux combats arrivaient à leur fin. Après avoir vécu dans l'ombre de son père, la dernière ligne droite se profilait à l'horizon. 

Maintenant que l'ordre venait d'être rétabli, il décida de quelque chose. Il se présenta au baccalauréat mais ne rempli aucune feuille. Pour chaque épreuve, il resta assis, 4 heures durant, fixant le mur jaune défraîchit de la salle d'examen. Il le rata volontairement. Pour expliquer ceci à ses parents, et surtout à son père, il manifesta le fait que ses résultats étaient à la hauteur de ce qu'il avait subi durant son enfance. Pour le jeune homme, son père avait détruit sa vie. A quoi cela sert il d'avoir un diplôme si ce n'est que pour vivre par la suite? Comme preuve de sa douleur, il transforma l'élève modèle qu'il aurait pu être en garçon au destin brisé. Il a décidé de ne pas suivre d'études brillantes, comme ses parents. Il a décidé d'aller ou bon lui semblait, visiblement, vivre de son plein gré. 

Vous savez ce que je pense? Je crois qu'il a eu besoin de changement.