Haru masqua ses bleus sous son sweat-shirt, en espérant que Lena ne remarquerait rien. Elle se mettrait à coup sûr en colère et afficherait cet air inquiet qu'il redoutait tant, lui proposerait de fuir, ce qu'il voulait éviter à tout prix. Sa famille avait la rancune tenace, il n'imaginait pas ce qu'ils feraient à son amie, et à lui-même, si jamais il osait disparaître du jour au lendemain. Même pour une soirée, cela ne lui était aucunement autorisé.
D'un mouvement bref, il jeta un coup d'œil en arrière de son épaule. Personne ne le poursuivait. Un soupir de soulagement s'échappa très discrètement de ses lèvres. Tant que ses parents ne constataient pas son absence, il serait sauf.
D'un pas vif, il marchait sur la chaussée en direction de la plage. Il était passé dans une brèche du mur de leur enceinte afin de respirer l'air de la mer et se retrouver libre de toutes contraintes. Son sang pulsait violemment dans ses veines et peinait à s'apaiser.
Son père ne l'avait pas raté une fois de plus. Parfois, Haru se demandait s'il ne souhaitait pas sa mort à force de le voir s'acharner ainsi contre lui et c'était sans mentionner sa belle-mère dont le caractère hargneux la rendait pire encore.
Lui avait-elle jamais souri ?
Petit à petit, il en était venu à se détester. Ce corps trop longiligne à la peau blanche, aux muscles fins et à la force si frêle, il ne pouvait plus le supporter.
« Sale chienne », se moquaient les membres de la meute.
Le ton méprisant, toujours utilisé, le blessait tant qu'il ne se pensait plus capable d'aimer. Les railleries brisaient chaque fois un peu plus la mince estime qui lui restait, chassant lentement tout espoir d'être heureux.
Et malgré la haine qui l'entourait, le torturait, il y avait une chose, une seule chose qu'il aimait. Et cela, il le devait à Lena, cette jeune femme rencontrée par hasard alors qu'il flânait sur le bord de la plage, après encore une fois, s'être fait battre.
Il se souvenait de ce jour comme si c'était hier. Tandis qu'il se captivait pour les vagues avec le désir violent de s'y perdre, une odeur de fleur l'avait détourné de ses sombres pensées. Timidement, il avait levé ses yeux émeraude et croisé un regard outremer.
Le visage fin de poupée de l'étrangère l'avait bouleversé, tout comme sa peau parcourue de taches de son, soulignée par une chevelure d'un noir absolu. Ceux-ci semblaient capables d'emprisonner même les rayons du soleil. Il la trouva magnifique au point d'en oublier ce qu'il était. Puis, une fois ses esprits retrouvés, il avait baissé les yeux.
Il se souvenait avoir eu honte de la manière dont il l'avait dévisagée : bouche ouverte, regard franc et admiratif. Sa façon d'agir, plus que malpoli, serait vue comme un affront. Il s'était attendu à une violente rebuffade et voir même à des moqueries, mais de ses doigts élégants, la femme gigantesque lui avait saisi le menton, avant de lui offrir un sourire captivant. Cet unique geste avait, semble-t-il, lié leur destin.
— Quel est ton nom ? l'avait-elle questionné d'une voix chaude.
Ce fut semblable à une brise fraîche. Son souffle l'avait enveloppé de douceur bien qu'il se soit demandé pourquoi elle lui adressait ainsi la parole. Ce jour-là, elle avait dégagé une force auquel il n'avait tout simplement pas pu résister.
— Ha... Haru Vent !
Pour la première fois de sa vie, il avait répondu sans peur, tout comme il ne s'était pas senti laid ni nul ou inutile. Elle ne lui renvoyait pas cette image de lui dégoûtante qu'il devinait sans mal dans le regard des autres. Au contraire, il y avait trouvé une bienveillance surprenante.
Intimidé par sa proximité et sa stature, il était resté immobile. Elle le dépassait d'une bonne tête. Il faisait un mètre soixante-dix, ce qui n'était pas très haut pour un homme de sa race, tandis qu'elle faisait bien un mètre quatre-vingt-quinze, ce qui était vraiment grand pour une femme. Le regard vif, intelligent, de cette inconnue, lui avait fait comprendre de ne pas la prendre à la légère. Malgré sa taille, elle restait menue et affichait une fragilité déconcertante.
— Moi, je suis Lena Savoia, avait continué cette femme éblouissante dont les lèvres fines remuaient avec sensualité.
Elle l'avait observé afin de voir sa réaction et le simple mouvement de tête qu'il lui discerna l'avait laissée interdite, mais elle n'avait pas insisté.
Elle était l'unique amie qu'il ait jamais réussi à se faire et la connaissait maintenant depuis un an. Bien sûr, il n'en avait parlé à personne de peur qu'on lui retire ce petit bonheur. Au fur et à mesure des jours, il avait deviné par instinct qu'elle n'était ni humaine ni de son espèce, mais il s'agissait là d'un sujet qu'ils n'abordaient pas.
Il aurait dû se mettre sur ses gardes, toutefois, à aucun moment, il ne s'était senti menacé et, très vite, cela fut sans importance. De plus, il fallait aussi se rendre à l'évidence, tous les peuples vivaient en harmonie. Il n'y avait donc rien à craindre. Gouverné par le prince depuis des générations, personne n'aurait enfreint la loi au risque de subir son courroux.
Haru avait rapidement associé Lena à un membre de sa famille et elle était devenue à ses yeux de la même trempe qu'un alpha. Remettre en cause son autorité n'était pas envisageable. Il la trouvait tellement sensible, unique, que pour lui, elle incarnait un trésor qu'il ne pourrait jamais toucher ni détruire. Son rire lumineux, son regard franc chaque fois qu'elle l'observait le faisait se sentir vivant, comme si son cœur existait de nouveau à travers elle.
— Tu as les plus beaux yeux de la Terre, soufflait-elle dès que l'occasion se présentait. Ne laisse personne dire le contraire.
À force de l'entendre répéter ces mots, un jour, alors que tous les membres de sa famille dormaient, il s'était examiné dans le miroir. Ses iris avaient la couleur des feuilles vertes printanière, un vert puissant qu'on ne pouvait pas lui retirer. Ainsi, il avait commencé à se sourire. Depuis ce premier compliment, qu'il gardait précieusement au fond de son cœur, Haru s'était mis à penser qu'il n'était peut-être pas entièrement laid ni même stupide ou inutile.
C'était pour cela que la rejoindre, après cette journée interminable, devenait son seul moment de bonheur.
Il se précipita un peu trop sur le chemin, son inquiétude refusait de le laisser tranquille, et il faillit déraper en arrivant au bord de plage. Le paysage était à couper le souffle, comme toujours. La mer, d'un bleu pur azuré, offrait au panorama un contraste saisissant, encadré par les lauriers roses et les bougainvilliers qui se succédaient sur la route. Le soleil intensifiait ainsi les couleurs et rendait le tout paradisiaque.
Haru trouva Lena les coudes posés sur le haut muret qui délimitait le sable. Elle contemplait les vagues, emportée par ses pensées impénétrables. Il lui sembla découvrir une déesse tandis que ses cheveux noirs s'enroulaient à chaque bourrasque, créant des courbes dansantes fantastiques. Il l'admira, la vénéra presque, au point d'en avoir un peu honte.
Malgré sa concentration, ilsut qu'elle avait déjà remarqué sa présence. Lena tourna doucement son regardvers lui. Celui-ci devint presque plus intense pour se gorger de mystère. Ellelui sourit avec chaleur, et enfin Haru réussit à calmer ses nerfs. Si seulementelle avait pu être sa mère. Il aurait aimé naître dans sa famille, car mêmeavec tous ses défauts, elle l'aurait chéri.
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Le loup du Prince
FantasyHaru n'est rien, rien qu'un loup soumis au cœur d'une meute cruelle. Chaque jour est une souffrance, il survit à peine et n'a rien qui le rende heureux à part Lena, cette femme mystérieuse qu'il admire chaque soir. Il fait tout ce qu'il peut pour sa...