Demi-Mesure

demi-goût

Elle, sa tête posée contre la fenêtre qui voit la vie défiler au dehors, elle s'imagine qu'elle a l'air perdu et mélancolique de ces statues de marbre, prêtes à être brisées.

Mais en toute honnêteté, si on la voyait, c'est toujours cette fille normale, avec des cernes comme des trous noirs de son âme, des cheveux qu'elle aimerait changer pour peu qu'ils s'emmêlent, une morphologie de bambin qui a trop vite grandit et une peau constellée de rougeurs, bien loin de l'idéal qu'est l'héroïne ou le marbre. Mais elle, comme elle ne veut pas souffrir de toutes ces imperfections au catalogue des règles de beauté, elle ne se voit pas comme elle est.

Alors plâtrière qui fixe son visage au flot du vent, ce n'est pas ça l'important nous dit-elle. Ce qui est important c'est le noir dehors et dedans.

C'est les arbres qui passent comme ses torpeurs au gré des colonnes de monstres métal.

Elle a passé sa journée à broyer des connaissances et des particules fines s'échappant de la ville comme un pollen invisible.

Sa mâchoire s'est activée sans répit, canines s'enfonçant dans le polystyrène de la cantine, couinement de l'ivoire contre la blancheur du plastique, elle ne sent plus le goût, aucun goût, aucune texture, aucun changement, aucun différenciation et ses yeux flous suivent le mouvement des lèvres de la personne en face et son front approuve pour ne pas avoir à écouter.

Et elle est lasse, fatiguée des singeries sociales qu'elle se doit de suivre pour rentrer dans un conformisme créé pour lui faire oublier que personne n'est fait pour la société.

Elle est lasse, alors sa tête tape contre la vitre, un arrière goût anesthésiant de fade et d'amer, un goût là pour lui rappeler l'absence.

un chanteur parle de ses au-revoirs au ciel bleu dans l'habitacle et lui pose une couverture de douceur sur les  épaules mais aussi de violence.

Elle ne remarque presque pas que son cerveau envolé par les secousses soit devenu lui aussi du polystyrène à la consistance si particulière.

Mais qu'est-ce que tu oublies alors Agathe?

l ' a c i d i t é