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Fidèles à leur habitude, les bips incessants me réveillèrent pour 8H précises. Mes journées débutaient toujours avec la mélodie stridente du radio-réveil qui activait mon corps engourdi de sa valse avec Morphée. Chaque matin se ressemblait, je déjeunais, m’habillais et attendais le bus scolaire comme chaque élève de chaque lycée. Lassante était cette routine, et je n’aspirais plus qu’à commencer enfin une vie d’adulte où je pourrais étudier ce que j’aime. Dans cette dernière année de lycée, j’entrais dans un ras-le-bol d’un surplus de matière que je n’aimais pas travailler car je ne voulais les étudier une fois mon diplôme en poche. Mon rêve, c’était la poésie, les beaux mots qui touchent chacun de nous dans nos pensées intimes, les belles phrases que l’on fredonne et les beaux paragraphes que l’on lit. J’étais né pour l’écriture et les belles choses, j’y étais si sensible que c’était devenu comme une évidence.

Sans oublier mon carnet, je claquai doucement la porte de la maison tout en démêlant les fils de mes écouteurs. Aujourd’hui, je ne prendrai pas le bus. Le printemps se réveillait timidement et je souhaitais profiter des premiers bourgeons ainsi que des premiers rayons de soleil qui chassaient les nuages gris mélancoliques de l’hiver. J’adorais mon vieux vélo couleur abricot. Il était capricieux et grinçait légèrement, mais sa cacophonie presque silencieuse n’entravait pas le paisible chant des oiseaux nichant dans les cimes.  

J’habitais au milieu de nulle part, à 10 min en voiture de la seconde plus grande ville de Corée du Sud, Busan. Les champs et rizières offraient un paysage épuré de tout immeuble empêchant d’admirer le ciel. Ici, on était libre et la nuit tout était calme. J’empruntais des chemins de terre sinueux où la nature avait repris ses droits, guidant les roues usées de mon vélo jusqu’au lycée, en bordure d’une ville de banlieue. Les grilles récemment peintes en vert étaient grandes ouvertes et un flot d’élève s’écoulait entre, tel un entonnoir. Je mis pied à terre et entrai à mon tour, poussant mon vélo vers le garage que possédait le lycée pour le laisser y reposer jusqu’à la fin de journée. Puis je m’insérai dans le tumultueux groupement d’élèves au moment où la sonnerie marqua le début des cours.

À l’école, j’avais toujours été un élève discret, ne m’asseyant ni au premier rang ni au dernier, et mes notes avaient toujours étaient correctes voir bonnes. Je ne cherchais pas à me démarquer dans une course à la compétition sans pitié, souvent orchestrée par les adultes, ceux qu’on devait écouter. Et comme toujours, ma place était du côté de la fenêtre, à travers laquelle mon regard s’égarait souvent durant des leçons ennuyeuses. Ce matin, Yugyeom était déjà installé à la place juxtaposant la mienne, il grattait précipitamment des phrases désordonnées sur une feuille, que je présumais être les devoirs pour la première heure. Je le saluai légèrement, ne voulant pas perturber son travail plus vif qu’intense et il ne leva pas les yeux de sa copie quand il marmonna un « salut Kookie ». Depuis que je connaissais Yugyeom, j’avais pris l’habitude de sa désorganisation presque maladive, souvent compris comme un manque de sérieux dans le monde des professeurs. Pourtant, il ne s’agissait pas d’un sérieux bancal mais d’une volonté qui le poussait à vouloir tout faire : s’il avait un choix, il faisait toutes les options à la place de choisir. À vouloir défier le temps, il se retrouvait toujours piégé. Alors s’il ne pouvait organiser ses décisions, il ne pouvait l’être dans son travail.

J’avais rencontré Yugyeom en 6ème, dans le club sportif du lycée. C’est lors d’une partie de volley qu’il m’assomma d’un mémorable smatch, qui était devenu par la suite l’origine de notre amitié. Son enthousiasme et sa joie de vivre m’avaient charmé, Yugyeom était mon ami car il avait un bel esprit. Je trouvais cet intérêt en peu de personnes : je n’appréciais pas grand monde car peu de monde était appréciable, surtout dans un lycée rempli d’adolescents hormonaux et artificiels qui se sentaient à l’aise dans la norme par peur d’être trop différent. Ne pas correspondre à une des cases que la société avait bâti pour eux était leur plus grande crainte. Je n’étais pas méprisant, seulement ennuyé de l’impersonnalité de la majorité des jeunes de mon âge, chez lesquels l’authentique se meurt.

La troisième et la quatrième personne qui accompagnaient mon quotidien se prénommaient Jimin et Bambam. Ils faisaient tout les deux survivre le peu d’authenticité que l’on pouvait trouver. J’avais rencontré Jimin également au collège lors d’un après-midi pluvieux. J’étais allé me réfugier dans une salle d’arts-plastiques avec quelques camarades plus âgés, car ils avaient besoin de mon aide pour rendre leur projet d’art concret et sensé. En clair, j’avais accepté d’établir le lien entre l’inexprimable de leur œuvre et l’exprimable des mots, y trouver une sorte de signification. J’étais très heureux par ce temps pluvieux, les clapotements parfois fracassant des gouttes de pluie sur les vitres me berçaient de leur douce rengaine. Je les avais ensuite délaissés pour quitter l’école. C’était à ce moment, en passant par le couloir des salles de musiques, qu’une mélodie douce et teinté d’allégresse m’avait fait tendre l’oreille. Au-dessus de cette mélodie s’élevait une voix pure et angélique, une voix qui chantait des mots que je reconnus assez vite :

« I see the crystal raindrops fall

and the beauty of it all

Is when the sun comes shining trough

to make those rainbows in my mind »

La main abaissant la poignée, j’étais rentré et j’avais rencontré Jimin.

Je n’avais rencontré Bambam qu’au lycée, lors de ma première année. Il était thaïlandais et maîtrisait le coréen de manière suffisante. Bambam était un garçon de ma classe très apprécié et appréciable, la classe se délectait de son humour. C’était lors d’une petite fête organisée par un de nos camarades que nous l’avions rencontré. Il dansait si bien que Jimin avait déclaré que « ce type avait l’air sacrément cool » et qu’il le verrait bien traîner avec nous. Les choses se sont enchaînées, et notre trio se changea en quatuor. Chez lui, c’était son sourire que je trouvais beau. Il était très transparent dans ses émotions, souriait quand il était heureux, riait dès que le prétexte s’y prêtait et pinçait ses lèvres de mauvaise humeur. Ses émotions étaient belles car elles étaient vraies. Il n’exagérait pas et ne portait pas de masque. Il ne se retenait pas de partager ses émotions, de donner la vie à des expressions pures. Pas de sentiments calculés, pas d’émotions réfrénées.

Le quotidien qui m’entourait se résumait en les personnes que j’aimais. Le reste? Il n’existait pas encore. 

MUSIC SOUNDS BETTER WITH YOU (TAEKOOK) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant