Les raisons de la chute de notre société, à cette époque, je les ignorais.
Je dormais sur le dos. Elle me réveilla avec une grande claque dans la figure puis tout de suite sa main agrippa vigoureusement ma bouche pour me faire garder silence. Ses paupières grandes ouvertes par une tension qui rigidifiait tout son corps jusque dans le bout de ses doigts qui enserraient ma mâchoire, les yeux presque révulsés fixant mon regard avec une telle intensité, une telle solidité qu'il m'a semblé qu'elle aurait pu me crever les yeux s'il elle avait cligné. Je devais me réveiller. Tout de suite. Et me taire.
J'entendis un premier cri hors de la tente. Ses doigts se contractèrent un peu plus et je crus que ma mâchoire inférieure ne pourrait supporter cette pression supplémentaire sans finir broyée. J'empoignai son avant-bras de mes mains et serrai à mon tour aussi fort que je le pus pour sortir sa conscience de la torpeur mécanique dans laquelle la panique la plongeait, pour lui faire comprendre de mes yeux à mon tour exorbités que c'est bon, je suis réveillé, je suis avec toi.
Elle tourna la tête vers la droite. Elle m'avait réveillé en premier. Il dormait encore, à côté de moi. Je le vis du coin de l'œil. Sa main contre ma bouche qui obstruait tout mouvement de ma tête libéra un peu de sa pression et mes mains toujours cramponnés saisirent l'occasion de retirer tout son bras d'un mouvement sec qui continua sa lancée, je me tournai sur mon épaule gauche, plaquai à mon tour ma main contre la bouche de mon frère amorphe et le secouai avec force et malgré tout ménagement. Je n'avais pas encore pris de respiration depuis mon réveil brutal.
Ses yeux s'ouvrirent. Je plantais avec brutalité mon regard dans le sien comme un pieu aiguisé. Il faut partir. Maintenant. Nous parlerons après. Depuis l'effondrement, nous avions appris que n'importe quel moment peut sans prévenir mettre en jeu la fin de notre existence alors que cela n'avait jamais été le cas pour nous quand la marche du monde était organisée. Le contexte dit les évidences.
Les hurlements alentours atteignirent nos oreilles. Ces sons insupportables, trop lourds pour quiconque, pétrifièrent nos corps, des égosillements retentissants, des pleurs époumonés, des brâmes implorants d'animaux humains qui se font tuer, qui meurent, vivant l'insoutenable douleur de leur corps se déchirant au sens propre dans leur champ de vision, qui ne veulent pas mourir.

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World Royale
Fiksi IlmiahIls partirent sans nous prévenir. Lorsque les plus riches comprirent qu'ils ne pourraient pas échapper à l'apocalypse du réchauffement climatique en quittant la Terre par l'espace, ils investirent en secret des centaines de milliards de dollars dans...