Kilo-drames

Partie 1 - Rêves

« Une vie sans rêve est incertaine » pensée-je.

Assise sur le toit de mon immeuble favori grâce à sa vue imprenable sur le quartier, j'observe le ciel. Je suis une femme de vingt-deux ans qu'on peut qualifier de rêveuse. Mon temps libre se résume à observer ce que me propose l'univers. Je m'évade ainsi de mon quotidien. Je me dessine une nouvelle vie. J'aime l'idée de savoir qu'en rêvant on peut se permettre de se construire un monde parallèle. De cette manière j'arrive à échapper à ma réalité : une mère malade, un père débordé, un grand-frère en prison et un ex trop présent.

Le vent froid de ce janvier 2005 me réveille de mon état onirique. Encore une seconde et j'oubliais qu'on était en plein hiver. Cette saison est celle que je préfère le plus. Elle possède une magie particulière. En fait, c'est la neige qui me plaît le plus. Il n'y a pas un chat dehors, enfin presque. La plupart préfère s'emmitoufler dans leur couette avec un bon chocolat chaud tandis que d'autre aime se retrouver au côté de cette terre blanche. En hiver, le quartier devient tout autre, les enfants s'amusent à se balancer des boules de neiges, d'autres construisent des bonhommes de neige comme dans les films. Les plus grands disparaissent le temps de quelques heures pour se retrouver dans la soirée dans les halls pour discuter de tout et de rien ; ils ont l'air d'être immunisé par le froid quand on les voit. Perso, je préfère être dehors à errer en attendant qu'un flocon me touche le sommet du crâne.

Aujourd'hui, contrairement à l'année dernière, il n'y a aucun flocon juste quelques gouttes de farine liquide. Elle se pose sur mes cheveux comme une rosée sur une feuille.

17h32 affiche l'écran de mon téléphone.

Merde ! Je ramasse rapidement mon sac. Je dois rentrer avant que ma mère ne remarque que j'ai pas fais ce qu'elle m'avait demandé : la gamelle de mon père !

Baba est agent de nettoyage à l'aéroport Charles de Gaules. Son emploi nous permet de joindre les deux bouts. Depuis que Mama est tombée malade, il se démène comme il peut pour subvenir à nos besoins. Mon père croit profondément en la valeur du travail. Il a toujours essayé de nous inculquer l'importance de l'éducation. D'après lui, on est dans un pays où il est possible d'attraper nos rêves et de les façonner tel qu'on le souhaite à condition qu'on soit motivé parce qu'on est pas considéré comme des vrais français par certaines personnes.

Selon Baba, dans le pays dans lequel on vit, une femme ou un homme habitant.e de la Sous-France, noir.e, maghrébin.e et musulmane.e, doit, malgré les hypocrisies ambiantes doit travailler dix fois plus que les autres.

J'ai toujours essayé d'avancer selon ce qu'il nous a enseigné. Voir l'échec dans les yeux de mon père serait la pire chose à expérimenter.  Ce regard je l'ai tellement vu en faveur de mon grand-frère que je ne pourrais le supporter s'il m'était destiné. Depuis toute petite malgré les bâtons dans les roues qu'on a essayé de me mettre, j'ai réussi à les esquiver. J'ai toujours été une fille déterminée à obtenir ce que je méritais.

Dans la précipitation, je bouscule une personne. Je fais tomber mon cellulaire qui se démembre sous mes yeux. Aoutch ! Mais quelle conne je suis !

- Pardon, pardon, pardon !!! m'empressée-je de lancer en ramassant mon téléphone.

- Elle peut pas faire attention celle-là !

- Léna, parle bien.

Je viens de m'excuser et elle se permet de parler de moi comme si j'étais absente. Qui a l'audace de me parler avec cet air condescendant ?

C'est une jeune femme brune plutôt élancée, assez jolie, elle a de grands yeux marrons en amande. Elle est très bien âpreté. Bon, un immeuble HLM c'est pas vraiment l'endroit où on fait des soirées mondaines mais chacun son truc. Sa tenue est très classe. Son rouge à lèvre est d'un rouge sang aveuglant. Franchement, elle est très belle. C'est la mannequin par excellence ! Malheureusement sont côté dédaigneux l'enlaidit.