Chapitre I

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 Jour de remise des diplômes. Je me trémousse pendant que ma mère m'ajuste ma cravate. Apparemment satisfaite, elle me glisse une mèche de cheveux derrière l'oreille, puis me tourne vers le réflecteur de notre aire de séjour. Rouge. Je porte maintenant du rouge. Je suis un adulte. En avoir la preuve sous les yeux me noue l'estomac.

– Tu es prêt, Noé ? me demande ma mère.

Elle aussi est vêtue de rouge. Sa robe arachnéenne ondoie élégamment jusqu'au sol. En comparaison, ma veste et mes chaussures en cuir paraissent un peu enfantins mais ça ne me gêne pas trop. J'ai tout le temps de m'approprier mon nouveau statut d'adulte. Je suis encore jeune. À 16 ans, je suis d'ailleurs l'un des plus vieux de ma classe. Je jette un dernier coup d'œil au réflecteur en souhaitant de toutes mes forces qu'aujourd'hui ne soit pas le dernier jour de ma scolarité. Mais ça ne dépend pas de moi. J'ai beaucoup travaillé, j'ai fait de mon mieux, je ne peux qu'espérer être choisi. Une boule d'angoisse dans la gorge, je parviens à articuler :

– Allons-y.

La cérémonie se déroule dans le parc, au milieu des stands de pâtisseries et de lait frais. La colonie au grand complet sera présente. C'est logique car tous les colons ont un lien de parenté avec au moins un des étudiants. Nous sommes quatorze à passer de l'enfance à l'âge adulte, huit garçons, six filles, plus nombreux que toutes les années précédentes. C'est le signe que notre colonie est dynamique et florissante. Mon père, mon frère et ma sœur vêtus de l'habit de cérémonie violet, nous attendent devant la maison. Mon frère, Louis, m'ébouriffe les cheveux en souriant.

– Alors gamin, prête à dire adieu à l'école et à rejoindre les ratés comme nous dans la vraie vie ?

Ma mère fronce les sourcils. Je ris. Louis et ma sœur sont loin d'être des ratés. D'ailleurs les garçons et les filles ne s'y trompent pas et passent leur temps à se jeter à leur tête. Mais s'ils ne refusent jamais une soirée en bonne compagnie, ils s'intéressent plus à la création de nouveaux moyens de transports ou de vêtements qu'à l'idée de s'installer pour fonder une famille. Dans ce domaine, Louis est certainement le pire. Grand, Brun, beau garçon, il est surtout très intelligent. Pourtant, il n'a pas été choisi pour le Test et cette idée me donne le cafard. Peut-être que c'est la première règle que l'on doit intégrer en devenant adulte : on n'obtient pas toujours ce que l'on veut. Louis aurait sûrement préféré continuer ses études et entrer à l'université. Marcher dans les pas de notre père. Il doit savoir ce que je ressens. J'aimerais pouvoir en parler avec lui, lui demander comment il a vécu la déception que je m'apprête très certainement à expérimenter. Notre colonie aura de la chance si un des siens est choisi pour le Test. Ce n'est pas arrivé depuis cinq ans. Je suis certes un excellent élève, mais d'autres sont meilleurs que moi. Bien meilleurs. Je n'ai pratiquement aucun espoir. Je me force néanmoins à sourire.

– Bien sûr que je suis prêt. Je n'ai pas le choix si je veux diriger la colonie avant que vous soyez mariés.

Dominique rougit jusqu'à la racine des cheveux. Elle a un an de plus que moi et la simple idée du mariage lui donne envie de prendre ses jambes à son cou. Ce qu'elle aime, c'est travailler sur les prochains produits de cosmétiques, et la mode en générale.

– Personne ne dirigera rien du tout si on ne se remue pas ! Le ton de ma mère est sec.

Déjà, elle remonte le chemin d'un bon pas et le reste de la famille la suivent sans discuter. Elle aimerait tellement voir Louis et Dominique mariés et installés que le sujet la met toujours un peu en colère. À peine avons-nous quitté le jardin que mon père à créé autour de la maison que nous nous retrouvons entourés d'une terre craquelée et aride. Seules quelques touffes d'herbe et un arbuste malingre parviennent à y survivre. D'après mon père, c'est encore pire à l'ouest et si nos dirigeants ont choisi la région des Cinq Lacs pour monter notre colonie, c'est qu'elle avait un potentiel. Nous habitons à presque huit kilomètres du centre-ville et habituellement, je les parcours à vélo. Aujourd'hui, ma famille et moi les feront à pied. Quelques citoyens possèdent des voitures mais l'essence et les bus solaires sont trop rares et précieuses pour une utilisation quotidienne. Avec son centre ovale et ses extensions sur les côtés, le parc communautaire a un peu la forme d'une tortue. Au milieu, une magnifique fontaine projette une eau incroyablement cristalline. C'est un luxe car l'eau propre n'est pas facile à obtenir. Ce gaspillage au nom de la beauté est autorisé en l'honneur de l'homme qui a découvert le moyen de décontaminer les lacs et les nappes phréatiques après l'Époque Sept. Pour les océans, ou ce qu'il en reste, la solution reste à trouver. À mesure que nous approchons, le paysage devient plus vert et on entend les oiseaux chanter. Maman est silencieuse. Louis la taquine en affirmant qu'elle ne veut pas que je grandisse mais je ne crois pas que ce soit le problème. Ou peut-être que si. Je m'entends bien avec ma mère mais ces deux dernières années, elle est devenue plus distante. Plus réticente à m'aider pour mes devoirs. Plus intéressée à marier ses enfants et à parler de l'apprentissage que je choisirai après l'école. Comme si les discussions sur le Test étaient devenues taboues. Alors je me suis éloigné d'elle et rapproché de mon père. Au moins, s'il ne m'encourage pas, il ne me décourage pas non plus. En général, quand je lui parle de mes envies d'université, il m'écoute sans rien dire. Je suppose qu'il a peur que je sois déçu. Le soleil est chaud et alors que nous gravissons la dernière colline, je sens la sueur dégouliner dans mon dos. Des échos de musique et de rires nous parviennent et me font accélérer le pas. Juste avant le sommet, papa passe son bras autour de mon épaule et me murmure de ralentir et d'attendre que le reste de la famille ait pris un peu d'avance. L'excitation me pousse en avant mais j'obéis en lui demandant :

Le TestWhere stories live. Discover now