Chapitre II

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 – Tu te caches ?

La voix de Louis me fait sursauter. Son sourire entendu me fait ravaler le mensonge que je m'apprêtais à lui servir. Je me contente de hausser les épaules.

– La journée a été difficile. J'avais juste besoin de me retrouver seul deux minutes.

Tambours, guitares et cornes jouent devant la boulangerie et plusieurs personnes se sont mises à danser ou à taper dans leurs mains. De l'autre côté du parc, nous parvient une odeur de viande rôtie. Des torches enflammées et des lampes électriques illuminent les allées. Les gens rient, chantent, s'amusent. J'ai pris soin de me réfugier dans l'ombre. Ces dernières heures, je me suis mêlé aux autres uniquement parce que c'est ce que l'on attendait de moi. Je refuse d'afficher ma déception et de révéler en même temps mon arrogance. Je me suis cru assez intelligent pour être choisi. Quel idiot !

– Tiens. Louis me tend un gobelet. Ça te fera du bien.

Je laisse le breuvage sucré me couler dans la gorge. Un arrière-goût plus fort me brûle les papilles. De l'alcool. La colonie a besoin de toutes les céréales et de tous les fruits pour se nourrir ; l'alcool est donc très rare. Néanmoins, une petite quantité est fabriquée pour les grandes occasions, comme la soirée de la remise des diplômes. Seuls les adultes sont autorisés à en consommer mais ma sœur m'a déjà permis de tremper les lèvres dans son verre les années passées. En réalité, je n'aime pas vraiment ça. J'avale une minuscule gorgée avant de rendre son verre à Louis.

– Tu te sens mieux, gamin ?

– Pas vraiment. Je baisse les yeux.

– Mouais. Il s'adosse au tronc d'un gros chêne et vide son verre d'un trait.

– Tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait, soupire-t-il. C'est comme ça. Dans ces cas là, il faut rebondir et trouver de nouveaux objectifs. Son amertume à peine déguisée me fait dresser l'oreille.

– C'est ce que tu vas faire ? Trouver de nouveaux objectifs ?

Ces dernières années, Louis a passé pas mal de temps à réfléchir à des opportunités en dehors des Cinq Lacs. Je détesterais qu'il se décide maintenant. Qu'il quitte la colonie serait triste. Qu'il la quitte en colère me briserait le cœur. Ses doigts se crispent autour de son verre, mais il répond d'une voix étrangement douce.

– Je n'ai pas envoyé de demande d'emploi à Altus, si c'est ce que tu veux savoir. Si papa a changé sa déclaration cet après-midi, c'est à la demande de la magistrate. Tu me connais, je vais être de mauvaise humeur pendant quelques jours et puis ça va me passer.

Son regard balaie le parc. Il est tard et si certains dansent et chantent encore, beaucoup commencent à partir. La grande journée touche à sa fin. Après quelques minutes de silence, Louis lâche :

– Tu pourrais le faire, tu sais ?

– Quoi ?

– Parler à la magistrate. Envoyer une demande d'emploi à Altus.

L'idée est à la fois tentante et terrifiante. Avec l'accord du magistrat, tout colon désireux de travailler à Altus ou dans une autre colonie peut envoyer un formulaire d'application. Si un emploi correspondant est disponible, il reçoit une offre en bonne et due forme de la Communauté Unifiée. En seize ans, je n'ai connu que deux personnes qui ont obtenu un poste après avoir effectué cette démarche. Après la déception d'aujourd'hui, je ne suis pas sûre d'être capable d'en affronter une autre. Mes doutes doivent se lire sur mon visage car Louis me prend par les épaules et me serre brièvement contre lui.

Le TestWhere stories live. Discover now