Violence

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"Parce que t'sais on s'dit, c'est triste ouais mais ça arrive qu'aux autre. Ça arrive qu'à elle, ça arrive qu'à lui. Ça n'arrive pas, pas à toi. Ça n'arrive pas.. C'est rare. On s'dit, bah non tu sais, c'est pas possible. Les gens ne sont pas si mauvais.
Et puis, on tombe de haut. On tombe toujours hein, en fait...
J'commençais à aimer le monde, à m'dire que ça allait, c'était pas si pire.

J'me rend plus compte. J'lis des témoignages, j'entends des choses, la précarité. Puis, les femmes tuées, les enfants battus, les femmes violées, les enfants perdus. Le monde qui part en couille. Mais, ce soir je veux pas y penser.

Y a Mickey à la télé qui conduit son bateau. Dans ma chambre, j'suis seule, y a la télé qui grésille un peu, c'est à cause du magnétoscope.
La lumière est faible, l'image est mauvaise, la pluie tombe et mes guirlandes éclairent pas assez. Elles ne montrent que c'qu'elles veulent voir, que c'qu'elles comprennes.

J'y croyais pas, on y crois pas. On se fait mal, on fait du mal. Et quand on se rend compte que ça arrive, le monde se met à tourner. La vérité c'est que tout est si fade, maintenant.  Comme dans ma chambre, comme mes yeux, comme les yeux de ceux qu'on à éteint. Qu'on à étreint trop fort. Mais c'est un jeu, c'est un jeu. Sois jolie, sois belle et tais toi. Et si t'es pas jolie, sois polie. Mais tais toi. Toujours, hein, tu garderas le secret. Tu sers à ça, de toute façon.

-Tu diras pas à papa et maman, c'est un jeu, tu sais. Tu diras pas que le monsieur il a volé ta vie, que la madame elle a pris ton innocence, que tonton il est pas si gentil, que ta frangine s'approprie ton existence.

Y a Donald à la télé qui pleure et son béret est penché sur sa tête. On voit pas ses yeux y a que ses épaules qui sont secouées de sanglots. J'regarde la télé, j'trouve ça glauque, j'ai pas mis le son, c'est peut-être pour ça, y a pas la musique guillerette, y a pas la symphonie qui s'accorde aux vieux Disney. Y a pas la joie de vivre, y a que les images et les visages des personnages, y a que l'émotion qui passe. Et j'me sens vide.

-Tu diras pas, on joue tout les deux. On s'amuse bien hein, mais fais pas de bruits surtout. Tu comprends, sinon papa et maman ils voudrons pas qu'on joue. Mais moi j'aime bien jouer avec toi. Et si tu crie, je te laisserai plus jamais jouer.

C'est toujours la même chose, hein. On entend à la télé, dans les journaux, à la radio.. La disparition de cette gamine. On se dit que c'est triste, et puis, on oublie.
La mort d'un enfant maltraité, ça nous dégoute, on comprend pas, sur le coup.. Et puis, on oublie.
Cette femme qui s'est faite abusée dans un coin d'rue, c'est horrible, hein, et puis.. On oublie.
On oublie, on oublie, on défend les causes puis on les oublie. Et on se tait, on s'insurge un jour, et puis,  on oublie.

Le cerveau efface ce qu'il ne veut pas vraiment connaître, ce qui l'effraie. C'est un réflexe de défense, c'est une protection. Et quand il pense qu'on est prêt à affronter les souvenirs alors ils refont surface. Tous, un à un.

-Arrête de faire du bruit bordel, j't'avais dis, j't'avais prévenue que tu pourrais plus jouer avec moi, si tu faisais trop de bruit. Pourquoi tu fais autant de bruits ? T'as vu c'que tu m'fais faire ? C'est de ta faute. J't'avais dis de te taire.

On aime pas les mauvaises nouvelles, les mauvais souvenirs, et un peu de nostalgie, ça fais pas de mal. Alors on allume la télé, on met une cassette, un dessin animé, pour se souvenir de ce que c'est que l'enfance. Pour oublier aussi que ce n'est pas ce qu'elle à été. Pour se fabriquer des souvenirs..
Puis au final, on éteins la télé, parce que, ça ne nous fera pas oublier, cette fois. On oublie les histoires des autres, mais, on n'oublie pas la sienne.

Parce que, t'sais, on s'dit, c'est triste, ça n'arrive qu'aux autre.
Et puis d'un coup on ferme les yeux, et on se rend compte que c'est nous, les autres."

Pensées nocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant