Chapitre 1

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La lumière d'un faible soleil filtrait à travers les pages jaunies de vieux journaux collés aux fenêtres du séjour. De minces rayons poussiéreux s'éparpillaient dans l'enceinte de la pièce encore sombre, la parant d'un air paisible. Aude adorait cette ambiance. Chaque matin, elle profitait de ces quelques instants de calme avant le tempête du quotidien qui s'annonçait. Bientôt, l'entièreté du quartier se mettrait en mouvement et emplirait la rue d'un vacarme d'activités, auquel elle devrait à contrecœur prendre part. Mais pour l'heure, la pièce restait calme, bercée des premières lueurs du jour et d'un vent léger sifflant à travers l'un des carreaux cassés.

D'aussi longtemps qu'elle pouvait s'en souvenir, son père avait toujours tenu à accrocher ses journaux sur ce mur de la pièce, ce que sa mère ne manquait pas de déplorer. Sans doute d'abord dans le but d'empêcher la poussière de pénétrer dans leur logis à travers un carreau brisé, il avait ensuite continué de les accrocher jusqu'à recouvrir l'intégralité du mur. Certains étaient anciens et leurs caractères avaient été peu à peu grignotés par les rayons du soleil. Elle avait du mal à leur donner une cohérence mais son père semblait y trouver une certaine clarté.

– Pas très réjouissant n'est-ce pas ? fit une voix familière derrière elle.

Elle se retourna pour croiser le regard de son père qui se tenait dans l'encadrement de l'escalier menant à l'étage, accoudé au mur, toujours en tenue de repos. Lui aussi était réveillé à présent. Sa mère ne tarderait pas à suivre et leur journée de travail pourrait commencer. Elle tira à nouveau ses yeux vers le mur couvert de paperasse, cherchant à comprendre à quoi son père faisait allusion. L'un des journaux fraîchement accrochés – Elle l'avait vu l'épingler la veille contre l'armature de bois – titrait en caractères gras remplis de pattes de mouches « Mines d'Anarkia : production en chute libre ». Son regard croisa à nouveau celui de son père lorsque celui-ci vint se poster à ses côtés.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça fait des semaines qu'on nous le répète, avança-t-elle, intriguée.

- Si comme moi tu les lisais, tu le saurais déjà, la taquina son père.

- Pourquoi est-ce que je devrais les lire si tu le fais à ma place ? lui rétorqua-t-elle avec un sourire.

- Un point pour toi, admit-il, amusé.

- De quoi est-ce que vous parlez tous les deux ?

La silhouette de sa mère se dessinait là où se tenait son père quelques secondes plus tôt. Sa longue chevelure blonde scintillait dans les premiers rayons du matin, encadrant son large sourire. Elle était déjà habillée dans son uniforme gris et usé. Elle avait l'air de bonne humeur. Elle devait avoir bien dormi. Ce n'était pas le cas d'Aude. Le bruit des convois par navette la réveillait régulièrement durant la nuit. Ses parents eux, semblaient s'y être habitués au point de ne plus les entendre.

- Aude et moi discutions de la gazette d'hier, répondit son père. La raréfaction du charbon dans les mines se confirme, ce qui n'est pas bon du tout pour nous, Tina, soupira-t-il.

Il resta un instant immobile, les yeux perdus dans le vague, réfléchissant sans doute.

Un son de cloche résonnant non loin de là vint rompre le silence. Il s'agissait du signal annonçant le début de leur journée de travail. L'appel du gong sortit chacun de sa torpeur matinale. Aude se redressa, son père également. Ils échangèrent un coup d'œil à la fois amusé mais désormais pressé. Aucun des deux n'était prêt à partir, ils portaient encore leur tenue de repos.

- Allez, filez vous habiller tous les deux, où vous allez être en retard, les houspilla gentiment Tina.

Aude se précipita au sommet des escaliers et vira à gauche vers la maigre pièce qui constituait sa chambre. Son uniforme pendait là où elle l'avait déposé la veille, le long d'une chaise en bois fendue et poussiéreuse. Elle l'épousseta avec rudesse, projetant des nuages de particules noires dans toute la pièce. Tout en l'enfilant rapidement, elle attrapa d'une main maladroite son casque posé au pied de son lit, puis sortit en titubant de la pièce. Son père l'attendait déjà au pied des escaliers, équipé de son uniforme noirci, sa femme à ses côtés. Tous deux se tenaient déjà prêt à partir.

AnarkiaWhere stories live. Discover now